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Des journalistes admis à une audience à huis clos dans un procès contre le fils d’un conseiller fédéral

Morceaux choisis de jurisprudence pénale rendue durant l’année 2018 en lien avec les médias

Miriam Mazou, Avocate, spécialiste FSA droit pénal, et chargée de cours à l’Université de Lausanne

Zusammenfassung: Das Bundesgericht betrachtete die in Art. 15 Abs. 3 aBÜPF vorgesehene sechsmonatige Aufbewahrungsfrist für «sekundäre» Daten als angemessen. In einem andern Fall erkannte Lausanne, ein Artikel, in dem der Autor die offizielle Version des Massakers von Srebrenica anficht, erfülle den Tatbestand der Rassendiskriminierung nicht. Das oberste Gericht hat weiter, gestützt auf die verfassungsmässig garantierte Informations – und Medienfreiheit sowie die Justizöffentlichkeit entschieden, dass ein Gericht ein ungeschwärztes Urteil an einen Journalisten weiterleiten kann. Akkreditierte Journalisten durften zudem zu einer Strafverhandlung gegen den Sohn eines Bundesrates, von der die  Öffentlichkeit ausgeschlossen war,  zugelassen werden. Das Bundesstrafgericht entschied, dass die Veröffentlichung von Gewaltvideos und -fotos auf Facebook in den Anwendungsbereich von Artikel 135 StGB (Gewaltdarstellung) fallen könnte. Als Ehrverletzung stufte das Bundesgericht die Veröffentlichung eines Fotos auf Twitter ein, das einen Politiker zeigte, der Flüchtlingskinder besucht, mit dem Begleittext, der Mann offenbare damit schamlos seine Pädophilie in den Medien. Weitere Bundesgerichtsentscheide hielten fest, dass immer wiederkehrende beleidigende Äusserungen gegen einen Politiker auch im Rahmen einer satirischen Veröffentlichung eine Beschimpfung darstellen könne (177 StGB) und dass die breite Medienberichterstattung über ein Strafverfahren einen schwerwiegende Beeinträchtigung der Persönlichkeit eines freigesprochenen Angeklagten bedeuten könne. Schließlich wurde der Journalist, der zweimal elektronisch abgestimmt hatte, vom Bundesgericht vom Vorwurf des Wahlbetruges freigesprochen.

Résumé: Les juges de Mon-Repos ont considéré que la durée de conservation de six mois prévue par l’art. 15 al. 3 aLSCPT apparaît proportionnée, même s’agissant des données « secondaires ». Le Tribunal fédéral a considéré qu’un article dans lequel l’auteur conteste la version officielle du massacre de Srebrenica ne réalisait pas les éléments constitutifs de l’infraction de discrimination raciale (art. 261bis CP). Notre Haute Cour a encore jugé, se basant sur les articles 16 al. 3, 17 et 30 al. 3 Cst. féd. (liberté d’information, des médias et principe de publicité des jugements) qu’un tribunal pouvait transmettre à un journaliste un jugement non caviardé. Des journalistes accrédités peuvent être admis à une audience pénale à huis clos dans un procès contre le fils d’un conseiller fédéral. Le Tribunal pénal fédéral a jugé que la publication sur Facebook de vidéos et de photos violentes pouvait entrer dans le champ d’application de l’article 135 CP (représentation de la violence). De même, la publication sur Twitter d’une photographie montrant un politicien rendant visite à des enfants réfugiés avec un texte indiquant qu’il « expose sans honte sa #pédophilie dans les médias » est attentatoire à l’honneur. En outre, le Tribunal fédéral a considéré que, même dans le cadre d’une publication satirique, l’utilisation récurrente et acharnée de propos injurieux à l’égard d’une personnalité politique ne pouvait être admise et pouvait être constitutive d’injure (177 CP). Notre Haute Cour a en outre jugé que la large couverture médiatique d’une affaire pénale pouvait constituer un préjudice grave pour la personnalité du prévenu acquitté. Enfin, le journaliste qui a voté électroniquement deux fois a été libéré, par le Tribunal fédéral, de l’infraction de fraude électorale.

Introduction

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La présente chronique a pour vocation de présenter – sans prétendre à l’exhaustivité – une sélection d’arrêts rendus au cours de l’année écoulée en matière de droit pénal des médias et de procédure pénale en lien avec les médias. Les arrêts mentionnés dans la présente chronique émanent du Tribunal fédéral suisse et du Tribunal pénal fédéral.

Enregistrement et conservation de données secondaires de télécommunication admissible 

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ATF 144 I 126: L’article 15 al. 3 de Loi fédérale sur la surveillance de la correspondance par poste et télécommunication, dans sa version en vigueur jusqu’au 28 février 2018 (aLSCPT), imposait aux fournisseurs de services de télécommunications – à l’instar de la loi actuellement en vigueur – l’enregistrement, et leur conservation durant 6 mois, des données permettant l’identification de leurs clients, ainsi que les données relatives au trafic et à la facturation. L’enregistrement et la conservation de données secondaires de télécommunications portent atteinte aux droits fondamentaux des utilisateurs concernés et potentiellement à la liberté de la presse, du moment que les journalistes peuvent y être soumis. L’intensité de cette ingérence doit toutefois être relativisée dans la mesure où les données conservées ne concernent pas le contenu des communications, ne sont pas visionnées par les entreprises de télécommunications, ni mises en lien les unes avec les autres et compte tenu de ce que l’accès des autorités pénales à ces informations est soumis aux conditions strictes du Code de procédure pénale. L’enregistrement et la conservation de telles données sont en particulier utilisées dans le cadre d’enquêtes pénales, ce qui relève d’un intérêt public important. De plus, les dispositions en matière de protection des données prévoient des garanties efficaces et adéquates contre une utilisation abusive et contre l’arbitraire des autorités. Dans ces circonstances, une durée de conservation de 6 mois apparaît proportionnée.

Liberté d’expression vs discrimination raciale

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ATF 145 IV 23: Un article intitulé « Srebrenica, comment se sont passées les choses en réalité » (« Srebrenica, come sono andate [veramente] le cose »), dans lequel l’auteur conteste la version officielle du massacre de Srebrenica, ne réalise pas les éléments constitutifs de l’infraction de discrimination raciale au sens de l’article 261bis CP, et une condamnation du chef de cette infraction viole la liberté d’expression dans la mesure où les textes incriminés ne contenaient pas d’incitation à la haine, à la violence ou à l’intolérance, ni de reproches à l’encontre des musulmans de Bosnie. Sur le plan subjectif, l’infraction de discrimination raciale au sens de l’article 261bis al. 4 2e partie CP suppose en effet un mobile discriminatoire. Le Tribunal fédérale se réfère pour le surplus à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme Perinçek c. la Suisse, s’agissant de la nécessité de garantir à cet égard la liberté d’expression telle qu’elle découle de l’art. 10 CEDH.

Transmission à un journaliste d’un jugement non caviardé

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TF 1B_510/2017 du 11 juillet 2018: Sous l’angle de la liberté de la presse (art. 17 Cst), un Tribunal peut transmettre à un journaliste qui le sollicite un jugement non caviardé. Selon notre Haute Cour, dans la mesure où d’autres prévenus que celui qui fait l’objet de l’enquête menée par le journaliste sont mentionnés dans le jugement, le caviardage aurait empêché au journaliste de pouvoir identifier quels actes sont reprochés à la personne objet de son enquête. Le Tribunal fédéral rappelle à ce titre les principes constitutionnels de liberté d’information (art. 16 al. 3 Cst), de liberté des médias (art. 17 Cst) et de publicité des jugements (art. 30 al. 3 Cst). De plus, notre Haute Cour considère que la personnalité de la personne concernée par la transmission du jugement est suffisamment protégée par les règles régissant la profession de journaliste (respect de la personnalité et de la présomption d’innocence), ainsi que par les moyens de droit usuel civils et pénaux qu’elle a à disposition (art. 28 et ss CC et 173 et ss CP). Une telle transmission ne constitue donc pas, selon le Tribunal fédéral, une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée de la personne concernée par cette transmission de données.

Admission de journalistes accrédités à un procès pénal tenu à huis clos 

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TF 1B_87/2018 du 9 mai 2018: Des journalistes accrédités doivent-ils être admis à l’audience pénale à huis clos dans un procès contre le fils d’un conseiller fédéral, bien que son nom soit déjà connu et qu’une couverture médiatique totalement anonymisée ne soit plus possible ? Pour notre Haute Cour, c’est précisément dans de tels cas de figures que le contrôle exercé par les médias revêt un grand intérêt. Dans le cas d’espèce, le Tribunal fédéral a jugé que le Tribunal tenant audience devait interdire aux médias de citer le prénom, l’âge et le lieu de domicile du prévenu afin de protéger sa personnalité.

Publication d’images d’exaction commises par l’Etat islamique 

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TPF, SK.2018.8 du 7 novembre 2018La publication sur Facebook de vidéos et de photos peut entrer dans le champ d’application de l’article 135 CP réprimant la représentation de la violence si elle présente des actes dont la brutalité peut fortement perturber le public, ou en influencer le comportement, en particulier celui des jeunes.

Atteinte à l’honneur sur Twitter 

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TF 6B_230/2018 du 24 octobre 2018: La publication sur Twitter d’une photographie montrant un politicien qui rend visite à des enfants réfugiés accompagnée un texte indiquant que celui-ci « expose sans honte sa #pédophilie dans les médias » (« B.#C.________ zeigt in den Medien ungehemmt seine #Pädophilie ») est attentatoire à l’honneur. De tels reproches de pédophilie ne peuvent pas être considérés comme de la satire et dépassent les exagérations admissibles dans le cadre d’un débat politique. L’infraction de diffamation au sens de l’article 173 al. 1 CP est réalisée, à tout le moins par dol éventuel.

Injure commise via un journal satirique 

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TF 6B_938/2017 du 2 juillet 2018:  Le rédacteur en chef d’un journal mensuel satirique est condamné pour injure à une peine pécuniaire de 20 jours-amendes à CHF 100.00 avec sursis pendant 3 ans pour avoir affublé la partie plaignante de nombreux qualificatifs et sobriquets particulièrement injurieux et insultants (notamment : « Grognasse », « Dindasse », « Fade pintade », « Tapineuse »). Les termes précités, sous couvert de propos satiriques, dénotent une claire volonté de nuire, reconnaissable comme telle par les lecteurs auxquels la publication est destinée. Le Tribunal fédéral a retenu qu’en utilisant des jugements de valeur offensants et des injures formelles, l’intéressé ne s’était pas limité à rabaisser la partie plaignante en sa qualité de femme politique, mais l’avait également exposée au mépris en tant qu’être humain. Dans ces conditions, la Cour cantonale n’a pas violé l’article 175 CP en considérant que ces termes étaient constitutifs d’injures. La publication litigieuse, parue durant la deuxième partie du mois de septembre 2013, ne saurait constituer une réaction immédiate devant conduire le Juge à exempter le délinquant de toute peine au sens de l’article 177 al. 2 CP. De plus, la démarche de l’intéressé relevant bien plus d’une attaque personnelle gratuite que de commentaires satiriques portant sur des questions d’intérêts publics, il ne doit pas pouvoir se prévaloir de la garantie offerte par l’article 10 CEDH (liberté d’expression). Ainsi, même dans le cadre d’une publication satirique, l’utilisation récurrente et acharnée de propos injurieux à l’égard d’une personnalité politique ne peut être admise.

Tort moral en lien avec la couverture médiatique d’un procès pénal

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TF 6B_1011/2017 du 23 juillet 2018: La large couverture médiatique d’une affaire pénale peut constituer un préjudice grave pour la personnalité du prévenu acquitté.

Le journaliste qui avait voté deux fois est acquitté 

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TF 6B_604/2017 du 18 avril 2018: Désireux de réaliser un sujet, un journalise de la RTS a voté électroniquement le même jour, à quelques minutes d’intervalle, en tant que genevois, puis en tant que suisse de l’étranger. Il a appelé deux heures plus tard la Chancellerie du canton de Genève pour signaler la faille. Condamné par la justice genevoise, puis par le Tribunal pénal fédéral, il est finalement libéré par le Tribunal fédéral. La fraude électorale étant une infraction intentionnelle, le journaliste n’en a pas réalisé l’élément subjectif puisqu’il n’avait pas voulu fausser le résultat du vote. Il a agi dans le seul but de déceler une anomalie et de protéger le fonctionnement démocratique. Par conséquent, on ne saurait considérer que l’intéressé se serait accommodé d’une éventuelle inexactitude du résultat des votations. Il n’a donc pas agi par dol éventuel de sorte que l’infraction n’est pas réalisée.