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Aides aux médias, en particulier les aides cantonales en Suisse romande

L’auteure propose un regroupement des forces, telle la création d’une fondation romande

Dominique Diserens, docteure en droit, ancienne Secrétaire centrale impressum – Les journalistes suisses

Zusammenfassung: Die Medien und der Journalismus befinden sich in einer sehr schwierigen wirtschaftlichen Lage und spielen gleichzeitig eine wichtige Rolle für die Demokratie. Nach der Behandlung der Bundeshilfen macht die Autorin in ihrer Studie eine Bestandsaufnahme der kantonalen Hilfen in der Westschweiz. Mit Ausnahme des Kantons Jura gibt es in allen Kantonen der Romandie solche Hilfen. Trotz einiger Gemeinsamkeiten wie beispielsweise die Unterstützung der Presseagentur Keystone-SDA, fehlt es weitgehend an einer Koordination. Dies und die Zurückhaltung bei der Unterstützung veranlasst die Autorin, eine Bündelung der Kräfte vorzuschlagen, beispielsweise durch die Schaffung einer Westschweizer Stiftung zur Unterstützung der Medien. Die Filmbranche in der Westschweiz erhält auf diesem Weg jährlich zehn Millionen Franken. Eine solche Zwischeninstanz hätte neben einer Aufstockung der Unterstützung den Vorteil, dass sie die Unabhängigkeit der Medien und Journalisten nicht einschränken würde.

Résumé: Les médias et le journalisme sont dans une situation économique très difficile et en même temps ils jouent un rôle très important pour la démocratie. Après avoir traité des aides fédérales, l’étude dresse un inventaire des aides cantonales en Suisse romande. Tous les cantons romands connaissent une telle aide, à l’exception du canton du Jura. Il y a des traits communs, comme l’aide à l’agence de presse Keystone-ATS mais on doit constater qu’il n’y a pas de grande coordination. Cela, et la timidité de l’aide, me poussent à proposer un regroupement des forces, telle la création d’une fondation romande d’aide aux médias. Les milieux du cinéma en Suisse romande ont fait pareil, avec dix millions de francs par an à la clef. Cet intermédiaire aurait pour avantage, outre un sursaut de l’aide, une protection de l’indépendance des médias et des journalistes.

La table des matières

I. Introduction   no 1

II. Nécessité des aides
     1. Situation des médias     3
     2. Importance des médias     11

III. Cadre fédéral : les aides existantes et en projet
     1. Les rabais pour la distribution des journaux     13
     2. L’initiative parlementaire d’Isabelle Chassot     17
     3. Visions du Conseil fédéral du 21 février 2024
          A. En général     18
          B. En particulier l’aide aux journaux en ligne    22
     4. Vers un nouvel article constitutionnel sur l’aide aux médias     32

IV. Les aides cantonales aux médias
     1. Introduction     37
     2. Causes et fondements des aides cantonales
          A. Causes     39
          B. Fondement des aides cantonales     40
          C. Aide vaudoise aux médias
               a) Le plan d’action     42
               b) Evaluation intermédiaire par le Conseil d’État du Plan d’action     45
          D. Aide genevoise aux médias     
               a) Des aides ponctuelles     59
               b) Dans le concret     60
               c) Projet de fondation     51
          E. Aide fribourgeoise aux médias
               a) Rappel : la période Covid     65
               b) Aide aux médias régionaux     66
          F. Aide bernoise aux médias     
               a) Objectifs et principes     70
               b) Mesures de soutien     73
               c) Mesures de promotion des compétences médiatiques     76
               d) Aide directe pour le Jura bernois     77
          G. Aide neuchâteloise aux médias     
               a) 2019 – 2024     78
               b) La motion interpartis 2024     79
               c) Proposition du gouvernement du 16 janvier 2025     80
          H. Aide valaisanne aux médias     82
           I. Aide jurassienne aux médias     83

V. Des exemples d’aides communales aux médias
     1.  La ville de Genève     84
     2. La ville de Nyon     87
     3. La ville de Lausanne     90

VI. Récapitulatif des aides cantonales aux médias     91

VII. Dans le reste de la Suisse     103

VIII. Premier bilan des aides cantonales aux médias
          1.  Traits communs     110
          2. Une aide plus axée sur le journalisme?     116

IX. Conclusions et perspectives d’avenir
       1. Les aides cantonales aux médias: Une aide suffisante? Une aide efficace?     118
       2. Perspectives d’avenir     122
       3. Remarques finales     126


 

I. Introduction

1

Importants pour la démocratie, les médias et le journalisme sont dans une situation difficile. Ces constats mènent à la reconnaissance d’aides fédérales et cantonales aux médias. Alors que ces dernières se sont multipliées, il en a été peu ou pas question dans la littérature juridique ou spécialisée. Cet article se focalisera sur les aides cantonales en Suisse romande. Un premier bilan sera tiré. Les conclusions amorcent des perspectives d’avenir.

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Je remercie Luc Recordon, avocat, ancien conseiller aux Etats pour ses lectures avisées, ses conseils judicieux et son soutien indéfectible. Je le remercie aussi d’avoir contribué à la rédaction du point III. 4,  no 32. Vers un nouvel article constitutionnel sur l’aide aux médias. Je remercie également Bertil Cottier, professeur emeritus, Université de Lausanne/Universita della Svizzera italiana, Chair European Commission against Racism and Intolerance pour son avis décisif, ses remarques judicieuses et son soutien. Je remercie aussi Thomas Dayer, secrétaire général adjoint de la République et canton de Genève pour ses informations sur l’aide genevoise aux médias. De même qu’Amélie Nappey-Barrail, responsable du bureau de la communication, Secrétariat municipal de la Ville de Lausanne pour ses informations sur l’aide aux médias de Lausanne. L’évocation d’un projet de Fondation romande d’aide aux médias sous  nos 118 sq. a été inspirée par les travaux de Frédéric Gonseth, cinéaste et Président de Médias pour Tous que je remercie. Ces travaux ont été réalisés sur la base de colloques en Suisse romande réunissant la branche des médias.

 

II. Nécessité des aides

1. Situation des médias

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La situation économique des médias est très difficile. Cela est particulièrement le cas en Suisse romande, mais pas seulement.

4

Le Conseil fédéral résume ainsi les difficultés de la presse (Rapport du Conseil fédéral du 21 février 2024 en réponse au postulat Christ 21.3781 du 17 juin 2021, Réfléchir dès aujourd’hui à la stratégie d’aide aux médias de demain) : «Avec la transformation numérique, les médias suisses se trouvent confrontés à de grands défis. Ces dernières années, l’utilisation s’est tournée, en particulier chez les jeunes, vers les offres en ligne et les médias sociaux au détriment des médias traditionnels (radio et télévision linéaires, presse). Parallèlement, les recettes publicitaires se sont déplacées vers des plateformes en ligne étrangères, comme Google et Facebook, qui ne produisent pas de contenus journalistiques propres. Le financement des médias est menacé».

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« Chute inexorable des recettes publicitaires et érosion du lectorat, les deux piliers de la prospérité de la presse» pour paraphraser le Temps (Le modèle économique déclinant de la presse, de Marc Guéniat, 30 janvier 2022). Pour les responsables de TX Group qui édite des titres comme 24Heures et le TagesAnzeiger, «En douze ans, le financement a été complètement inversé. En 2008, jusqu’à 70 % des recettes provenaient de la publicité, contre un tiers aujourd’hui» (même article du Temps).

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Comme déjà évoqué, la publicité qui était l’une des sources de financement principales de la presse écrite s’est déplacée vers les plateformes en ligne étrangères. Les recettes estimées de ces plateformes s’élevaient en 2022 entre 1690 et 2070 millions de francs (Rapport précité du Conseil fédéral, du 21 février 2024). En 2022, la presse, la radio et la télévision ont enregistré un chiffre d’affaires publicitaire de 1515 millions de francs. En 2019, elles se sont élevées encore à 1919 millions de francs (Rapport précité du Conseil fédéral du 21 février 2024).

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Tous les médias se sont restructurés : Début 2024 ESH Médias biffait une quarantaine de postes. Ringier biffait 55 emplois. Tamedia annonçait une restructuration sans pareil avec 270 suppressions de postes. A la mi-juin 2025, Tamedia annonçait une restructuration de 20 minutes, avec la fin de la version papier, 80 postes menacés et la disparition de rédactions régionales, comme à Genève. La Région aussi, à Yverdon, annonçait en juillet 2025 sa disparition après 19 ans d’activité. La fermeture du journal concerne 19 personnes. La SSR, quant à elle, est forcée d’économiser. «Depuis 2003, plus de 70 journaux ont ainsi disparu. L’information locale s’en trouve affaiblie» (Explications du Conseil fédéral sur la nouvelle loi sur un train de mesures en faveur des médias pour la votation du 13 février 2022). En Suisse romande, plusieurs journaux populaires comme Le Matin papier ou l’Hebdo, et maintenant la Région, ont fermé boutique. Cette suppression d’emploi réduit fortement la qualité des médias. Comment faire de la qualité avec des rédactions moribondes ? Il y a aussi une grave atteinte à la diversité.

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La pagination des journaux papier de Tamedia suisses alémaniques et romands (24Heures et Tribune de Genève) a baissé. Il en est de même pour 20Minutes. La tendance est générale en Suisse romande.

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Les chiffres sont parlants : le nombre d’emplois dans le journalisme a diminué d’un quart entre 2011 et 2019, selon l’Office fédéral des statistiques, passant de 17’000 à 13’000.

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En réponse à l’évolution du marché, une tendance à la concentration est à noter : réductions, regroupements ou fusions, voire fermeture des rédactions. Alors qu’en 2009, on comptait encore 310 titres de presse en Suisse, ils n’étaient plus que 251 en 2022 (Rapport du Conseil fédéral précité, du 21 février 2024).

2. Importance des médias

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Les médias et les journalistes jouent un rôle fondamental dans la société démocratique. Encore plus en Suisse où la démocratie directe a beaucoup de poids. Les médias et les journalistes sont précieux pour la formation de l’opinion publique sur des sujets d’intérêt général. La Cour européenne des droits de l’homme et le Tribunal fédéral disent que les médias sont les «chiens de garde» de la démocratie (arrêt Goodwin de la CEDH du 27 mars 1996, et commentaire de la Constitution, Onlinekommentar sur l’article 17 Constitution fédérale).

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Le Rapport explicatif du Train de mesures en faveur des médias du Conseil fédéral pour les votations du 13 février 2022 résumait ainsi l’importance des médias : «Les journaux, les radios et télévisions privées et les médias en ligne fournissent chaque jour à la population des informations sur sa région et son pays. Ils contribuent aussi à la formation de l’opinion politique et à la cohésion sociale. Malgré ce rôle essentiel, les médias locaux et régionaux rencontrent des difficultés financières (…) De nombreux journaux ont disparu, les radios et télévisions privées voient elles aussi leurs recettes publicitaires diminuer. La couverture médiatique dans les régions, et donc la cohésion sociale, s’en trouve affaiblie».

 

III. Cadre fédéral : les aides existantes et en projet

1. Les rabais pour la distribution des journaux

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La presse bénéficie de taxes préférentielles pour la distribution postale des journaux et ce, dès 1849 (Voir Stéphane Werly et Denis Barrelet, Droit de la communication, 3e édition, Berne 2024, p. 260, nos 695 sq). Ce système d’aide indirecte se fonde sur la loi du 17 décembre 2010 sur la poste (LPo).

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Pour 2025, il est prévu 30 millions de francs pour ces rabais. En 2025, le Conseil fédéral a fixé à 28 centimes par exemplaire distribué par la poste le rabais octroyé. En 2024, 147 journaux et périodiques locaux et régionaux bénéficiaient de cette aide. La presse associative et les fondations bénéficient aussi de ce rabais à concurrence de 20 millions. C’est donc une subvention de 50 millions qu’accorde la Confédération pour le transport de journaux par la poste à un prix réduit.

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Le 4 mars 2025, le Parlement a avalisé une aide financière supplémentaire de 35 millions de francs sur la base d’une initiative parlementaire de Christine Bulliard-Marbach, «Pour une presse écrite indépendante, il faut adapter les montants de l’aide indirecte». La presse régionale et locale recevra 40 millions de francs par année, soit 10 millions de plus qu’aujourd’hui. De plus, une nouvelle aide sera versée pour la distribution matinale des journaux, d’un montant de 25 millions de francs. Le Parlement a maintenu l’aide indirecte pour la presse des associations et des fondations. Elle subsistera donc avec un montant à hauteur de 20 millions par an.

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Les aides indirectes sont valables durant une période de sept ans. Ce délai serait suffisant selon le Parlement pour que la presse s’adapte à la nouvelle donne technologique, soit la numérisation.

Le parlement a entériné le 21 mars 2025 ces améliorations pour la presse. Un comité dit «Liberté» a lancé un référendum contre le projet. Il réunit principalement des jeunes UDC et PLR. Le référendum n’a pas abouti. C’est donc une bonne nouvelle pour les médias, mais pas suffisante pour mettre à flot la presse.

2. L’initiative parlementaire d’Isabelle Chassot

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En 2022, la sénatrice Isabelle Chassot a déposé une initiative parlementaire (22.417 – Mesures d’aide en faveur des médias électroniques) proposant trois points de révision qui n’étaient pas contestés dans la votation de février 2022 sur le Train de mesures en faveur des médias, soit le soutien de la formation et des formations continues, le soutien de l’autorégulation de la branche, le soutien des agences de presse d’importance nationale. Ces trois soutiens seraient financés par un prélèvement de 1 % au plus du produit total de la redevance radio-télévision. La Commission compétente du Conseil des Etats a délibéré le 8 juillet 2024 de cet objet et l’a approuvé ; pour que les mesures soient applicables rapidement, elle a mis en consultation son avant-projet (jusqu’au 28 octobre 2024). Le 20 janvier 2025 un rapport sur la procédure de consultation a été publié. La majeure partie des participants à la consultation s’est prononcée en faveur du projet de loi de la majorité de la Commission. Le 18 juin 2025 le Conseil des Etats a adopté le projet. Ce dernier est devant la Commission du Conseil national (en l’état d’août 2025).

3. Visions du Conseil fédéral du 21 février 2024

A. En général

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Dans un rapport du 21 février 2024 (déjà cité dans cet article), qui est une réponse au postulat Christ (21.378) «Réfléchir dès aujourd’hui à la stratégie d’aide aux médias de demain», le Conseil fédéral soumet trois options pour une aide aux médias indépendante du canal de diffusion.

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Le premier modèle soutiendrait les radios et télévisions ne disposant pas d’un mandat de prestations ainsi que les offres en ligne des éditeurs. Les offres des petits médias pourraient bénéficier d’un soutien plus élevé que celles des grands médias. Les médias gratuits pourraient aussi être soutenus. C’est une option à moyen terme.

20

Comme mesure de long terme, le Conseil fédéral propose une extension du mandat de prestations de service public. Pour le Conseil fédéral, une aide pour la presse écrite en dehors de l’aide indirecte nécessiterait une révision de la Constitution. Cette option ne serait pas prioritaire pour le Conseil fédéral.

21

Des mesures générales d’accompagnement profitant à la totalité de la branche, comme l’aide aux agences de presse ou à la formation seraient envisageables à court terme (voir les mesures proposées sous  no 17).

B. En particulier l’aide aux journaux en ligne

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En 2022, le Train de mesures en faveur des médias qui a été rejeté par votation populaire de février 2022 prévoyait une aide en faveur des journaux en ligne.

23

En plus de l’aide indirecte, le projet adaptait la politique des médias dans ce sens, en facilitant la transition des entreprises vers le numérique. «L’objectif est d’encourager en particulier les petits et moyens éditeurs à investir dans des offres numériques pendant la phase de transformation». Cette aide était temporaire et durait sept ans.

24

«Grâce à une somme de 30 millions de francs par année, le Parlement veut s’assurer que la population puisse s’informer sur des sujets politiques, économiques et sociaux locaux, en ayant accès à l’Internet dans toutes les parties du pays et dans toutes les langues nationales» (Rapport explicatif du Train de mesures en faveur des médias, février 2022). Les offres gratuites étaient exclues. L’aide était limitée aux offres qui réalisent des recettes auprès du public.

25

Dans son rapport de février 2024, le Conseil fédéral présente des modèles «qui permettent d’utiliser les aides existantes de manière à ce que les médias en ligne et les médias gratuits en profitent également». «Il met l’accent sur une aide indépendante du canal de diffusion, sans mandat de prestations, qui doit favoriser, dans toutes les régions du pays, la production de contenus journalistiques, principalement au niveau local-régional». «L’aide pourrait être attribuée suivant le modèle du rabais sur la distribution pour la presse régionale et locale : le média qui remplit des critères prédéfinis a droit à une subvention calculée en fonction de critères spécifiques».

26

La première option du Conseil fédéral est donc d’introduire une aide à tous les médias électroniques, indépendante du canal de diffusion et sans mandat de prestations. Cette option serait réalisable à moyen terme. Elle serait introduite sur la base de l’article 93 al. 1er Constitution fédérale. Il s’agirait d’une nouvelle aide aux médias, indépendante du canal de diffusion et sans mandat de prestations, calculée en fonction du nombre de postes journalistiques ou du chiffre d’affaires et qui privilégie les petites organisations de médias. Les objectifs de l’aide seraient la promotion de la qualité et de la diversité des médias.

27

Cette vision repose aussi sur un rapport de la Commission fédérale des médias datant du 10 janvier 2023 : «A l’avenir, tous les médias privés devraient bénéficier d’une aide, quel que soit leur canal de distribution pour autant que leurs contenus journalistiques s’adressent à un large public. Les mesures de soutien doivent être technologiquement neutres». (Rapport Avenir de l’aide aux médias, Impulsions pour une aide technologiquement neutre aux offres journalistiques privées, 10 janvier 2023).

28

Le Conseil fédéral a accepté le 21 mai 2025 une motion de la Conseillère nationale Barbara Schaffner demandant le soutien des médias en ligne (25.3363 du 21 mars 2025 – Aide aux médias en ligne indépendamment du canal de diffusion et du modèle d’affaires). La motion reprend les termes et conditions du Rapport précité du Conseil fédéral du 21 février 2024.

29

Le soutien doit inciter les médias suisses en ligne à créer des contenus journalistiques et renforcer la diversité des titres et de l’offre, en particulier au niveau régional. Cette aide ne doit pas dépendre du contenu du média ni de ses articles pris isolément mais elle doit être calculée en fonction des postes de journalistes dans ce média. Elle doit de plus être dégressive, de telle sorte que les petits médias, surtout les titres régionaux reçoivent proportionnellement plus que les grands. L’offre doit être constituée en majeure partie d’informations d’intérêt général produites par le média lui-même et portant sur des sujets politiques, économiques ou sociaux.

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Il faut noter qu’il y a treize ans Luc Recordon, alors conseiller aux Etats, avait déjà fait une proposition pour soutenir les journaux en ligne, qui avait été acceptée par le Conseil fédéral (12.3579 Postulat du 14.6.2012– Développement des journaux en ligne).

31

On peut être satisfait qu’enfin une proposition, après le Rapport précité du Conseil fédéral de 2022, émanant du Parlement sur le sujet soit acceptée par le Conseil fédéral. Les journaux en ligne se multiplient et ils ajoutent du contenu de valeur : citons entre autres Republik, Watson, Infosperber, Bon pour la tête, Heidi News, La Méduse, etc. Comme on le verra, les aides ont tendance à favoriser l’innovation. Or, beaucoup de ces nouveaux titres sont le fruit d’innovations. Il est urgent de les soutenir.

4. Vers un nouvel article constitutionnel sur l’aide aux médias

32

Sous l’impulsion du rédacteur en chef du Quotidien jurassien, Rémy Chételat, et de l’éditeur de ce titre, Sébastien Voisard, ainsi que de l’ancien conseiller national jurassien Jean-Claude Rennwald, l’association Nouvelle presse a réuni en octobre 2024 à Lausanne une assemblée d’une centaine de personnes afin de débattre de l’idée d’un nouvel article constitutionnel fédéral sur l’aide aux médias. Les participant-e-s, issus des milieux du journalisme (au sens large du terme) écrit et audiovisuels, des éditrices et éditeurs des ces domaines, du parlement et de la société civile, ont accueilli l’idée favorablement; un groupe de travail s’est ensuite formé pour tenter de concrétiser le projet et trouver des appuis.

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À l’été 2025, un premier texte d’article 93a (nouveau), intitulé “Soutien à la qualité et à la diversité du journalisme et des médias” a émergé. Les éléments à en retenir sont les suivants.

34

Le but est de garantir l’indépendance et la diversité des médias et de favoriser leur contribution à une information libre et fiable du public.

  • À cette fin, la Confédération et les cantons devraient prévoir, dans le respect du principe de la liberté économique, une aide financière adaptée aux différents types de médias et tenant compte des particularités régionales et des besoins des minorités linguistiques.
  • Il appartiendrait à ces collectivités d’encourager la formation de base et continue des journalistes ainsi que des autres collaboratrices et collaborateurs des médias, notamment en vue de favoriser l’emploi, de promouvoir l’éducation aux médias et de soutenir des projets d’innovation technologique dans le domaine de la communication de masse.
  • Pour garantir une adoption impartiale et rapide des mesures destinées à concrétiser ces objectifs, il conviendrait d’instituer un processus décisionnel particulier et de définir avec précision les critères présidant à l’attribution de soutiens financiers.
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L’hypothèse d’inclure dans le texte une redevance affectant les moteurs de recherche et réseaux sociaux ou issue de la TVA est encore en discussion.

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Cette mouture initiale est appelée à recevoir assez d’appui pour que démarre un processus auprès des autorités fédérales, voire – au besoin – une initiative populaire.

 

IV. Les aides cantonales aux médias

1. Introduction

37

La crise sanitaire en 2020 a motivé des cantons à aider leurs médias touchés par la crise du covid. Cela a aidé à une reconnaissance dans certains cantons de la situation économique difficile traversée par les médias et de leur importance. Dès les années 2020, aidés par la situation liée au covid, les cantons romands se sont mis à prévoir des aides aux médias que cela soit dans un cadre législatif ou dans un cadre ponctuel.

38

En 2020, le canton de Vaud a été pionner en accordant une enveloppe de 6,2 millions sur cinq ans. (voir sous no 42). Le canton et la ville de Genève ont suivi en 2022 et en 2023 par diverses mesures (voir sous  nos 59 sq.). En 2024, le Conseil d’État fribourgeois a décidé d’aider les médias régionaux, de manière temporaire et ponctuelle en attendant les solutions fédérales (voir sous nos 65 sq.). Le canton de Berne a introduit au 1er janvier 2024 des mesures de soutien dans le domaine des médias ainsi que des mesures de promotion de compétences médiatiques (voir sous nos 70 sq.). Dans le canton de Neuchâtel, le Grand Conseil a accepté le 27 mars 2024 une motion interpartis demandant d’aider les médias régionaux (voir sous nos 78 sq.). Dans le canton du Valais, début 2025, le Conseil d’État a décidé de verser une aide de 70’000 francs à l’ATS pour son bureau régional avec un mandat de prestations (voir sous  no 82). Pour l’instant dans le canton du Jura il n’a été accordé qu’une aide exceptionnelle aux médias impactés par la crise sanitaire en 2020 (voir sous no 83). Notons qu’il y a aussi des mesures communales (voir  nos 84 sq.). On traitera de ces mesures cantonales en en rappelant les causes et les fondements (voir sous no 40). On tirera un bilan  (nos 110 sq.) et on conclura avec des perspectives d’avenir (nos 118 sq.).

2. Causes et fondements des aides cantonales

A. Causes

39

Les difficultés importantes du secteur au niveau économique ont déjà été évoquées (sous nos 3 sq.). L’importance des médias a aussi été relevée (voir sous nos 11 sq.). La région est exiguë, plus étroite encore que la Suisse alémanique. Après le rejet du Train de mesures en faveur des médias en février 2022, les cantons en Suisse romande se sont sentis motivés à pallier l’absence de véritable aide au niveau fédéral. En effet, ce texte législatif a été accepté dans tous les cantons romands (voir par exemple la motion déposée au Grand conseil genevois M2875 le 4 octobre 2022). Comme cela a déjà été traité, il n’y a pas de base constitutionnelle fédérale claire pour des aides à la presse écrite (avis du Conseil fédéral, sous nos 18 sq. et de la doctrine dominante et voir pour y pallier nos 22 sq.). C’est pourquoi il n’y a pas encore d’aide directe au niveau national pour la presse écrite. Les aides se sont donc multipliées au niveau des cantons et aussi au niveau des communes. La plupart des mesures ont été prises dans l’attente d’une véritable aide au niveau fédéral (voir le bilan, ci-dessous).

B. Fondement des aides cantonales

40

L’article 28 alinéa 4 de la Constitution genevoise est exemplaire : «toute personne a droit à une information suffisante et pluraliste lui permettant de participer pleinement à la vie politique, économique, sociale et culturelle». Sur cette base, le canton a une obligation active de promouvoir les médias cantonaux et communaux.

41

Les cantons sont compétents en l’absence de compétence fédérale. Confédération et cantons sont également responsables, en parallèle, des mesures de promotion en faveur des médias. Cette compétence, qui se fonde sur la liberté d’information, comprend aussi un devoir d’agir (voir sur le sujet Urs Thalmann, La compétence parallèle des cantons et de la Confédération dans la promotion des médias, in : Jusletter 2 juillet 2018, résumé).

C. Aide vaudoise aux médias

a) Introduction
42

Pour des aides d’urgence, le canton de Vaud, dès avril 2020, a octroyé aux médias une enveloppe de 1,2 million de francs. Elle a été versée au titre de publicité pour les annonces dans les titres en difficultés.

43

En 2020, le canton de Vaud a entériné une série de mesures d’aide aux médias (Exposé des motifs et projet de décret instituant des mesures de soutien à la diversité des médias, sur le postulat Valérie Induni et consorts – «Pour un vrai soutien à la presse et aux médias. Rapport du Conseil d’État au Grand Conseil [2019]). C’est un plan d’action qui vise quatre objectifs :

1) Le maintien et la diversité des médias
2) Le soutien à la production du contenu
3) L’aide à l’innovation
4) L’encouragement d’une culture de l’information.

44

Ce plan d’action prévoit l’investissement de 1,2 million de francs par an sur 5 ans, soit au total 6,2 millions de francs. Prévu pour durer cinq ans, ces mesures devraient faire à leur échéance l’objet d’une évaluation. Elles ont été adoptées le 9 mars 2021 sous la forme d’un décret instituant des mesures de soutien à la diversité des médias (BLV 449.12).

b)  Le plan d’action
aa) Maintien de la diversité des médias
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Dans le cadre d’une aide limitée dans le temps et transitoire, le canton de Vaud veut augmenter les publicités à caractère civique. Il s’agit de placer des annonces visant à rappeler aux citoyens les dates pour voter ou à faire de la prévention. Pour cela, le cadre financier sur cinq ans est de 2,5 millions de francs.

bb) Soutien à la production du contenu
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Sous ce titre, le canton prend à sa charge les coûts d’un ETP de journaliste de l’ATS dans le canton de Vaud. Un soutien est aussi accordé à la formation des journalistes au CFJM, à raison de 40’000 francs par an (Cela représenterait quatre à cinq stagiaires par an en moyenne, voir notamment Gilles Labarthe, Aider la presse, Stratégies et perspectives en Suisse romande, Etude réalisée sur mandat de l’Association Nouvelle Presse, Université de Fribourg, p. 27). Cette mesure est destinée aux médias formateurs dont les stagiaires sont inscrits au CFJM. Il ne s’agit pas d’une aide directe au CFJM.

cc) Aide à l’innovation
47

Il s’agit ici de créer une plateforme (kiosque numérique) qui présente l’ensemble des possibilités d’abonnement des médias traitant du canton de Vaud. L’idée est d’allouer une somme estimée à un million de francs sur cinq ans et 250’000 francs pour une étude, soit au total 1,250 million de francs. Il y a aussi sous ce titre un financement de recherches portant sur les nouveaux modèles d’affaires au niveau cantonal.

dd) Culture de l’information
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Deux volets sont prévus : d’abord, un an d’abonnement est proposé à un tarif très avantageux aux jeunes atteignant leur majorité. Et, dans le cadre de l’éducation aux médias, l’objectif est de favoriser l’exercice d’un esprit critique face à l’information. Des classes ou des établissements pourraient ainsi obtenir des abonnements à des tarifs favorables.

ee) Lancement de «Chek»
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Pour remplacer le kiosque numérique apparemment peu adapté aux jeunes (Voir Rapport du Conseil d’État neuchâtelois au Grand Conseil Aide aux médias d’importance cantonale, du 15 janvier 2025, a) en réponse à la motion de députés interpartis 24.129 «Déclin des médias régionaux : agir avant qu’il ne soit trop tard !»  b) à l’appui d’un projet de loi instituant des mesures de soutien aux médias d’importance cantonale, ci-après Rapport neuchâtelois du 15 janvier 2025, p. 5), le 3 octobre 2024 a été lancé «Chek» le nouveau projet numérique pour les jeunes Vaudoises et Vaudois. Le projet est conçu pour les jeunes de 17 ans à 25 ans. Alimentée par les éditeurs locaux, de manière indépendante de l’État, la mesure reflète l’ambition de proposer une actualité «locale, dynamique, vérifiée et positive» sur les canaux utilisés par les jeunes et dans les formats qu’ils consomment. Les contributions des médias participants seront rémunérées par le biais de mandats de prestations, garantissant l’indépendance à l’égard de l’État.

ff) Autres aspects du plan d’action
50

Deux autres mesures prévues à l’article 3 du Décret sont à citer : à la litt. G, le soutien complémentaire à des mesures édictées par la Confédération, et à la litt. H le soutien complémentaire à des mesures prises en collaboration avec d’autres cantons. Cette dernière mesure pourrait être la base vaudoise pour créer une fondation romande d’aide aux médias (voir nos 118 sq.).

c) Evaluation intermédiaire par le Conseil d’État du Plan d’action
51

Le Conseil d’État a adopté son rapport intermédiaire sur les effets des mesures prévues par le Plan d’action, dans sa séance du 2 avril 2025 (voir sous www.vd.ch, les décisions du Conseil d’État).

52

L’insertion d’annonces payantes s’est effectuée à raison d’un montant entre 400’000 francs et 670’000 francs par an. Cette mesure a été perçue comme un soutien équitable et accessible à l’ensemble de la presse vaudoise.

53

Pour le soutien à la production de contenu journalistique d’actualité, le canton verse un montant de 100’000 francs annuels à l’ATS pour une période de cinq ans. Cette aide permet de maintenir l’emploi du bureau vaudois. Il y a eu une hausse des dépêches de 25 %.

54

Pour le soutien à la formation des journalistes, le canton aide les médias qui engagent des stagiaires. L’aide sur quatre ans examinés s’est élevée à plus de 150’000 francs. Dix-sept stagiaires-journalistes en formation ont été concernés. La mesure est perçue comme un levier pertinent.

55

Pour l’éducation aux médias, des packs média (abonnement à divers titres vaudois, le but est l’enseignement de compétences spécifiques et un effet anti-fake-news) sont mis à la disposition des enseignants durant trois mois dans un projet-pilote depuis 2022. Pour la durée de l’évaluation, cela a coûté près de 590’000 francs. Passé 5’500 élèves ont bénéficié de la mesure. La durée de trois mois a été jugée trop courte, mais les enseignants ont apprécié l’aide avec un budget annuel de 196’000 francs.

56

Pour le soutien à l’innovation, des études ont été commandées et des éditeurs locaux se sont vus bénéficier d’aides pour de nouveaux projets. Ce soutien a coûté plus de 240’000 francs.

57

Pour le soutien à l’innovation pour la formation de la libre opinion des jeunes, un nouveau média entièrement numérique a été créé sous le nom de Chek. Ce projet se substitue au projet de kiosque numérique. Le projet qui vaut jusqu’ici un demi-million de francs a été lancé en octobre 2024. Trois postes de journalistes ont été créés.

58

Le Conseil d’État juge globalement positives les mesures mises en place. L’aide aurait donc atteint sa cible, soit les éditeurs locaux. L’aide à l’éducation des médias est difficilement mesurable dans ses effets, par exemple. Certaines aides devraient fait l’objet d’une refonte comme cette dernière.

D. Aide genevoise aux médias

a) Des aides ponctuelles
59

Jusqu’ici le Canton de Genève n’a pas édicté de texte de loi sur les aides aux médias. Il a préféré prendre des mesures ponctuelles.

b) Dans le concret
60

Le soutien de l’État genevois aux médias locaux se concrétise de différentes manières, notamment par des achats d’espaces publicitaires. En 2020 et 2021 un recensement avait été effectué. Les achats de prestations de l’État dans les médias avoisinait le demi-million de francs par an sans en faire de la promotion au titre d’une aide aux médias.

61

Historiquement, l’État de Genève a toujours été actif en faveur des médias, notamment pour la Genève internationale. Il a soutenu la Fondation Hirondelle, la plateforme Geneva Solutions, le Club suisse de la presse ainsi que les plateformes Health Policy Watch et The New Humanitarian.

62

Le Conseil d’État a mis sur pied un groupe de travail interdépartemental sur la question des aides aux médias en 2021-2022. Les travaux de ce groupe lui ont permis de renforcer son aide par des mesures ciblées, notamment sur l’éducation aux médias et à l’information et sur la promotion du journalisme d’investigation. Il s’est agi de proposer des accès de presse en ligne pour les élèves, d’offrir des abonnements de presse numériques pour les jeunes de dix-huit ans et d’un soutien à JournaFonds.

63

Le groupe de travail a été réactivé afin de procéder à un suivi de la situation et de réévaluer les mesures existantes respectivement d’en proposer de nouvelles.

c) Projet de fondation
64

Un projet de fondation pour aider les médias à Genève est inscrit à l’ordre du jour au Grand Conseil : «Fondation genevoise pour la diversité des médias locaux». Son objectif est de «soutenir la création de nouveaux médias et la production de contenu éditorial». La fondation serait dotée d’un capital initial de 10 millions de francs, attribué par le Conseil d’État genevois. Ce projet a été déposé le 4 novembre 2024, signé par 27 députés socialistes et verts. Il a été suscité par les restructurations de chez Tamedia en 2024. Un premier projet avait été lancé en 2017, mais faute d’un soutien large, il n’avait pas vu le jour.

E. Aide fribourgeoise aux médias

a) Rappel : la période Covid
65

A Fribourg, en 2020, il a été institué une aide d’urgence à fonds perdus, d’un montant de 5,34 millions. Cette aide avait pour but de «garantir le maintien des postes de travail», voire la «survie des titres» de la presse écrite et de «continuer à offrir une information de qualité». Le montant se partageait à raison de 3,7 millions pour la presse écrite et de 1,64 million pour les radios et télévisions fribourgeoises (Communiqué de presse publié le 21 février 2024, sous www. fr.ch).

b) Aide aux médias régionaux
66

Le 21 février 2024, Fribourg a annoncé vouloir soutenir les médias régionaux. Il s’agit pour le Conseil d’État (Communiqué de presse précité) de soutenir de manière temporaire (pour une durée de quatre ans) et ponctuelle les médias régionaux fribourgeois dans l’attente de nouvelles solutions au niveau fédéral pour une durée de quatre ans.

67

Les principales mesures sont les suivantes :

  • soutien des projets de numérisation des médias durant une période limitée de quatre ans à concurrence d’un maximum de 30 % du montant réel investi. Un montant de 1,8 million de francs est envisagé pour le soutien aux investissements sous cette forme;
  • aussi pour une période de quatre ans, 50 % des frais d’abonnement des médias
    fribourgeois à l’Agence de presse Keystone-ATS. Le coût est estimé à 800’000.- francs pour les quatre ans ;
  • la formation aux médias est aussi ciblée par deux mesures :

– l’État lancera un appel d’offres auprès des médias pour produire des supports pédagogiques numériques d’éducation aux médias destinés aux écoles. 50’000 francs sont prévus à cet effet ;

– renforcer les collaborations existantes entre l’école et les médias régionaux dans le cadre de projets pédagogiques. 50’000 francs par an sur quatre ans sont prévus à cet effet.

68

En novembre 2023, le Conseil d’État a en outre adapté pour traitement par le Grand conseil le projet de loi sur l’accès des jeunes aux médias. Il a été accepté par le Grand conseil le 21 mars 2024. Il s’agit d’offrir un abonnement numérique d’un an à un média régional à tous les jeunes du canton de dix-huit ans. Cela est estimé à 900’000 francs pour une période de cinq ans.

69

Le tout s’élève au maximum à 3,75 millions de francs sur la durée prévue.

F. Aide bernoise aux médias – La loi bernoise sur l’information et l’aide aux médias au 1.1.2024

a) Objectifs et principes
70

La loi bernoise sur l’information révisée au 5 septembre 2022 prévoit l’aide aux médias et la promotion des compétences médiatiques (RSB 107.1).

71

Les objectifs des mesures de soutien sont de faciliter la création et le maintien d’une offre d’information diversifiée et de haute qualité sur des sujets cantonaux régionaux et locaux présentant un intérêt politique (art. 34a al.1er). «Elles contribuent ainsi à la libre formation de l’opinion et facilitent l’exercice des droits politiques aux niveaux cantonal, régional et local».

72

Le principe de l’indépendance est garanti. Il ne s’agit que d’aides indirectes. L’aide directe à des médias ou à des offres médiatiques spécifiques est exclue.

b) Mesures de soutien
73

L’article 34 litt. C énumère les mesures de soutien. Ce sont des aides financières qui sont accordées à des institutions qui soutiennent les médias sous diverses formes (contenus rédactionnels ; infrastructures numériques ; formation ou perfectionnement ; recherche). Les subventions n’excèdent pas 100’000 francs par an et par institution. Pour les soutiens de projets l’aide n’excède pas 20’000 francs par an et par projet aidé.

74

Début 2024, le canton de Berne a passé un contrat de prestations avec l’agence Keystone-ATS pour les années 2024 à 2026. Il verse 100’000 francs par an au titre des prestations fournies par l’ATS.

75

Le canton a aussi soutenu JournaFonds, association regroupant la branche pour encourager le journalisme d’investigation, mais pour un montant moins important pour l’heure et ce, pour une période de trois ans.

c) Mesures de promotion des compétences médiatiques
76

Pour promouvoir des compétences médiatiques, le canton peut adopter ou financer des mesures qui facilitent l’accès à des offres médiatiques.

d) Aide directe pour le Jura bernois
77

La loi, du 13.9.2004, révisée au 1.6.2014, sur le statut particulier du Jura bernois et sur la minorité francophone du district bilingue de Bienne prévoit à ses articles 63 à 66 une aide financière aux programmes de radio régionaux. Ils peuvent donc bénéficier d’aides directes.

G. Aide neuchâteloise aux médias

a) 2019 – 2024
78

Ces cinq dernières années, l’administration a accordé aux médias généralistes d’importance cantonales (ArcInfo, RTN et Canal Alpha) des montants de près de 3 millions de francs.

b) La motion interpartis 2024
79

Dans le canton de Neuchâtel, le Grand Conseil a accepté le 27 mars 2024 une motion interpartis demandant d’aider les médias régionaux. Des soutiens provisoires à court terme sont prévus pour assurer la pérennité des médias sur le long terme. Les mesures suivantes sont de plus proposées. Les nouveaux citoyens pourraient se voir offrir un abonnement d’une année à ArcInfo. Les frais d’abonnement du journal à l’ATS pourraient être pris en charge durant quelques années.

c) Proposition du gouvernement du 16 janvier 2025
80

Le gouvernement neuchâtelois a proposé le 16 janvier 2025 une loi temporaire pour venir en aide à ArcInfo, Canal Alpha et RTN. Un peu plus de 400’000 francs supplémentaires sont budgétisés sur deux ans. Trois mesures sont prévues : une prise en charge de l’abonnement à l’ATS à concurrence de 30 %; un abonnement numérique de trois mois à ArcInfo aux jeunes atteignant la majorité ; aussi une offre d’un abonnement numérique de trois mois à chaque nouvel arrivant.

81

Le Gouvernement a retiré le 31 mars 2025 son projet et ce, après des auditions montrant que les aides proposées n’étaient pas suffisantes. Le projet doit être remanié.

H. Aide valaisanne aux médias

82

Dans le canton du Valais, le 23 janvier 2025, le Conseil d’État a décidé de verser une aide de 70’000 francs à Keystone-ATS pour son bureau valaisan avec un mandat de prestations (Communiqué de presse du 23 janvier 2025). L’aide est annuelle et vaut jusqu’en 2028. L’objectif est de «renforcer la production d’informations régionales en provenance et à destination du canton du Valais». Le Grand Conseil l’a contesté et a réclamé «des règles et des critères clairs en matière de soutien aux médias». Aider l’ATS est cependant de la compétence de l’exécutif valaisan. L’accord de prestations garantit l’indépendance journalistique de l’agence qui assurera cette couverture renforcée selon ses principes rédactionnels habituels. L’État du Valais a précisé qu’en soutenant l’ATS, il entend soutenir « la diversité et l’indépendance des médias qui sont essentielles au bon fonctionnement démocratique et constituent un rempart à la désinformation» (communiqué de presse précité).

I. Aide jurassienne aux médias

83

Pour l’instant dans le canton du Jura, il n’a été accordé qu’une aide exceptionnelle aux médias impactés par la crise sanitaire en 2020 d’un montant de 185’000 francs.

 

V. Des exemples d’aides communales aux médias

1.  La ville de Genève

84

La ville de Genève organise des bourses de soutien aux médias. Elle sont destinées à soutenir le rôle citoyen, culturel et pédagogique des médias. Ces bourses sont plafonnées à 15’000 francs par bénéficiaire.

85

Il y eut d’abord un projet-pilote en 2020. Ces bourses sont organisées depuis 2023. Elles sont d’un montant annuel de 60’000 francs.

86

La ville de Genève a établi une charte Media pour ces bourses.

87

Ces bourses de soutien sont donc régulières depuis 2023.

2. La ville de Nyon

88

Depuis 2018, la ville de Nyon consacre 120’000 francs par année en soutien aux médias locaux, La Côte et NRTV.

89

En 2023, la ville a augmenté pour 2024 son soutien en dépensant 145’000 francs d’annonces dans le quotidien La Côte.

3. La ville de Lausanne

90

Outre les abonnements et les achats d’espaces publicitaires qui sont liés à des projets spécifiques, le Conseil communal de la Ville a voté en 2023 un amendement au budget 2024 pour un soutien de 100’000 francs à la presse qui viennent s’ajouter aux 70’000 francs proposés par la Municipalité en 2018. Ces aides sont régies par une directive pour l’aide à la presse.

 

VI. Récapitulatif des aides cantonales aux médias

91

L’ATS est soutenue (ou bien les journaux abonnés) par presque tous les cantons, soit VD, FR, BE, VS et NE dans son projet de loi.

92

La formation des stagiaires (via le CFJM notamment) est financée par VD. BE prévoit une aide à la formation.

93

Accès aux médias : GE, FR et NE dans son projet de loi financent un abonnement numérique aux jeunes de dix-huit ans selon des modalités spécifiques.

94

L’injection de publicité : VD et GE le font, même si pour GE ce n’est pas en tant que promotion de l’aide aux médias.

95

L’innovation est soutenue par VD et FR. Mais VD finance surtout des études à ce titre, tandis que FR entend l’innovation dans le domaine numérique.

96

La formation aux médias est prévue dans le canton de VD, FR et BE (de manière générale pour ce dernier canton).

97

JournaFonds a été soutenu par GE et BE pour l’heure.

98

Une Fondation d’aide aux médias est en projet à Genève, de 10 millions par an pour les médias locaux.

99

Le projet Chek du canton de Vaud vise à lutter contre les fake news (fausses nouvelles) et à faciliter l’accès des jeunes aux médias.

100

Les montants investis sont pour certains chiffrés (VD, FR, VS, NE projet de loi), d’autres non (GE,BE).

101

Certaines aides sont limitées dans le temps (VD cinq ans, FR quatre ans, NE pour le projet de loi deux ans, VS quatre ans), d’autres non comme GE ou BE.

102

VD a prévu dans le décret des mesures en collaboration avec d’autres cantons sans les utiliser jusqu’à maintenant.

 

VII. Dans le reste de la Suisse

103

Dans cet article, il n’est question que des aides aux médias des cantons de la Suisse romande. En effet, la situation est tout autre en Suisse alémanique. Dans cette région de Suisse, le Train de mesures en faveur des médias a été fortement rejeté en février 2022. Ce vote a marqué si bien qu’à part Berne dont il est question sous nos 70 sq. il n’y a pour l’instant pas d’aides aux médias en Suisse alémanique.

104

Le canton de Soleure décide de ne pas avoir d’aide directe en 2025 (https://www.persoenlich.com/medien/solothurn-will-keine-direkte-presseforderung).

105

En 2024, le gouvernement zurichois a refusé une aide cantonale directe (https://www.persoenlich.com/medien/zurcher-regierung-lehnt-kantonale-forderung-ab).

106

Le Parlement et le gouvernement du canton de Lucerne ont refusé l’aide aux médias en 2023 (https://www.persoenlich.com/medien/luzerner-kantonsrat-stimmt-gegen-medienforderung) (https://www.persoenlich.com/medien/luzerner-regierung-will-keine-kantonale-medienforderung).

107

En Argovie, il y a aussi eu en 2022 un refus d’une loi sur les médias (https://www.persoenlich.com/medien/regierungsrat-will-kein-mediengesetz-vorlegen).

108

En 2024, le Grand Conseil de Bâle contraint le gouvernement à préparer une aide aux médias (https://www.persoenlich.com/medien/grosser-rat-ist-fur-medienforderung).

109

On doit mentionner la situation spécifique des Grisons. Au titre de la promotion des langues, la Confédération verse via l’Office fédéral de la culture la somme de 285’000 francs à Keystone – ATS pour le romanche et l’italophone dans les Grisons. Il existe une fondation, sorte d’agence, la Fundaziun Medias Rumantschas soutenue par la Confédération et le canton (voire pour l’activité de cette fondation et son financement, https://www.fmr.ch/de/). En 2024, le canton a renforcé la couverture médiatique des régions italophones du Sud des Grisons entre autres par une aide accrue à Keystone-ATS. Le canton soutient aussi la formation des journalistes, notamment.

 

VIII. Premier bilan des aides cantonales aux médias

1.Traits communs

110

La plupart des mesures prises par les cantons sont de durée limitée. Elles sont conçues comme des mesures prises dans l’attente de mesures fédérales pérennes. Il a été constaté cependant (cf. sous nos 40 sq.) que l’obligation d’agir des cantons est parallèle aux compétences de la Confédération. Elles ne devraient donc pas s’achever quand des mesures fédérales pérennes entrent en vigueur.

111

Il s’agit de mesures indirectes la plupart du temps.

112

Plusieurs cantons prennent des mesures de soutien à l’égard de l’agence Keystone-ATS, le dernier en date étant le Valais.

113

Il a été relevé aussi qu’un projet a été mis en consultation au niveau de la Confédération, il inclut également un soutien à l’ATS (cf. sous  no 17).

114

Une autre mesure rencontrée souvent dans les cantons est celle du soutien à la formation initiale, en particulier des stagiaires se formant dans une école de formation aux journalistes reconnue (comme le CFJM). Un projet fédéral, mis en circulation dont il est question sous no 17, prévoit aussi des aides à la formation des journalistes.

115

C’est dire que les mesures de soutien à l’ATS et à la formation ont une reconnaissance large. Il y a donc lieu de perpétuer ces aides tant aux niveaux cantonal que fédéral.

2. Une aide plus axée sur le journalisme ?

116

Les aides passées en revue ne sont pas directement axées sur le journalisme, profitant directement aux journalistes. J’évoquerai ci-après des mesures qui peuvent être directement utiles aux journalistes.

  • Aides au fonctionnement : mise à disposition de locaux sur l’exemple de «Maisons de presse et des journalistes» (à Paris, dans des Pays d’Afrique francophone par exemple). Cela permet aux journalistes et notamment aux journalistes Libres et indépendants ainsi qu’aux correspondants, de pouvoir disposer d’un lieu de travail équipé, aussi pour des rencontres professionnelles et des débats etc.
  • Déductions fiscales : p.ex, pour les employés, déduction fiscale de la cotisation de l’association professionnelle impressum, p.ex., etc.
  • Prise en charge des frais d’abonnements aux journaux.
  • Transports publics gratuits.
  • Mesures d’aide à la modernisation des équipements.
  • Soutien à l’enquête et au reportage, par exemple via JournaFonds, association finançant des enquêtes des reportages de journalistes libres ou d’employés dans de petites rédactions (voir sous www.journafonds.ch).
  • Aides aux structures professionnelles (impressum, sections et groupes de travail d’impressum, sociétés des rédacteurs dans les titres, manifestations etc.).
117

Ces aides sont données à titre d’exemple. Les journalistes libres devraient être les premiers à en bénéficier. Cela renforce fortement la diversité des médias et du journalisme.

 

IX. Conclusions et perspectives d’avenir

1. Les aides cantonales aux médias : Une aide suffisante ? Une aide efficace ?

118

Il faut constater que les montants en jeu – à part ce qui est prévu peut-être dans le canton de Vaud – sont peu élevés. Il est à se demander si, comme à Fribourg par exemple, malgré l’aide prévue de 3,7 millions, le soutien est efficace, quand en parallèle le Groupe Saint-Paul se restructure avec des licenciements à la clef, ou si il ne rate pas plutôt sa cible. La même question se pose à l’égard de l’aide vaudoise ; cette dernière n’a pas empêché La Région de disparaître (cf. nos 3 sq.).

119

Par ailleurs du fait que les cantons, dans la plupart des cas, ne veulent pas d’aide directe mais seulement indirecte, ils restent timides dans leurs mesures alors que les journaux continuent d’aller mal avec des effets sur la diversité, sur la qualité et menaçant ou détruisant l’emploi de journalistes pleins de talent et de savoir-faire. Cette question serait résolue si les cantons avaient affaire à un intermédiaire (voir ci-dessous).

120

Il est à déplorer aussi qu’il n’y ait que peu ou pas du tout de mesure supra-cantonale, étant donné que tous les titres et groupes ne se limitent pas – et de loin – à un seul canton.

121

On doit constater enfin au vu de la diversité des mesures prévues par les cantons qu’il manque une coordination entre eux.

2. Perspectives d’avenir

122

Presque tous les cantons romands ont instauré des aides aux médias. Une prise de conscience a eu lieu sur l’importance des médias pour la libre formation de l’opinion publique et la démocratie.

123

Mais ces aides en sont tout au début. Pour la Suisse romande, avec environ 2,14 millions d’habitants, très exiguë, il y a beaucoup de systèmes d’aides variés et non coordonnés. Pourtant presque tous ces médias publient dans la même langue et sont actifs dans une même région culturelle.

124

Les milieux du cinéma ont mis sur pied il y a déjà plus de dix ans une fondation romande, dotée annuellement de 10 millions de francs : Cinéforom (voir pour l’organisation et son historique, www.cineforom.ch). Ce genre de structure permettrait pour la presse de préserver l’indépendance des médias et des journalistes puisque l’argent ne serait pas versé directement par les cantons et les communes, mais par l’entité intermédiaire qui pourrait aussi être une association dans un premier temps. Fijou et Nouvelle Presse ont déjà développé de tels modèles (voir l’étude de Gilles Labarthe, pour l’Université de Fribourg, sur commande de Nouvelle Presse, dont il a été question plus haut, voire notamment no 46). Un tel modèle aurait une force de frappe supérieure à tous les régimes d’aides spécifiques à chaque canton.

125

On pourrait ainsi dresser les grandes lignes de cette institution romande :

  • Les organes directeurs devraient être composés de représentants des cantons et communes actifs, et des représentants des secteurs de la branche (associations professionnelles des journalistes et des éditeurs, syndicats).
  • Une telle aide intercantonale coordonnée devrait être instituée avant l’instauration d’une aide fédérale.
  • Les instances étatiques ne participeraient pas au choix des médias aidés, mais elles participeraient à la mise en place des types d’aides et des règlements d’attribution.
  • Comme Cinéforom le prévoit, deux types de contributions pourraient être envisagées : l’une automatique en échange de prestations, l’autre sélective attribuée par des experts représentants les régions et les domaines (journalistes et éditeurs).
  • Les prestations qui pourraient être encouragées sont par exemple la production éditoriale. Il s’agit d’encourager la production et la diffusion de contenus journalistiques de qualité professionnelle.
  • Les aides seraient attribuées au contenu éditorial publié quel que soit le support et l’éditeur.
  • Un minimum de conditions devraient être posées (ex. : ne pas être soutenu par la redevance). L’aide varierait suivant l’aire de diffusion, de l’audience, de la périodicité et du support. L’aide pourrait être remboursable en cas de bénéfice de l’éditeur.
  • Il est aussi imaginable que dans cette fondation – ou association, dans un premier temps – soient représentées, aux côtés des autorités et de la branche, des fondations privées. La création de l’Initiative Philanthropie et médias à l’Université de Genève et dirigée par l’ancien Directeur général de la SRG SSR, Gilles Marchand, pourrait aider à la participation de fondations privées dans ce cadre (pour l’initiative, voir https://www.unige.ch/philanthropie/recherche-et-publications/recherche/philanthropie-et-democratie/initiative-media-et-philanthropie-imp).

3. Remarques finales

126

Les prémices d’un tel projet au niveau romand ont été déjà examinés par la branche dans le cadre de deux colloques qui se sont déroulés en 2022. Il serait rapidement mis en place. Il serait possible d’utiliser la structure existante de JournaFonds, association encourageant le journalisme d’investigation, réunissant les associations de la branche, du moins pour le lancement du projet. Il faudrait que les cantons réunis au niveau intercantonal dans la Conférence des Gouvernements de Suisse occidentale (CGSO, https://www.cgso.ch/) décident de se coordonner et de participer à cette structure au début pour ensuite créer une Fondation romande d’aide aux médias avec les associations privées de la branche et aussi des fondations privées.

127

Le temps presse car il n’y a pour ainsi dire pas un mois où la restructuration ou la disparition d’un média n’est pas annoncée. Les médias et les journalistes souffrent beaucoup de cette situation économique. Or, il faut le répéter, le secteur est décisif pour la démocratie.