Protection des sources et autres questions de procédure pénale au centre de la pratique judiciaire

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Morceaux choisis de jurisprudence pénale rendue durant l’année 2019 en lien avec les médias

Miriam Mazou, Avocate, spécialiste FSA droit pénal, et chargée de cours à l’Université de Lausanne

Zusammenfassung: Die Autorin bespricht zehn medienrechtlich relevante Urteile, die 2019 vom EGMR, vom Bundesgericht und von kantonalen Instanzen in der Waadt und in Genf gefällt wurden. Neben dem EGMR hat das Bundesgericht insbesondere über den Quellenschutz, die Geheimhaltungspflicht von bereits bekannt gewordenen Tatsachen und über das Recht auf Einsicht in ein Strafurteil entschieden.

Résumé: L’auteure présente dix jugements rendus en 2019 en lien avec les médias, par la CEDH, par le Tribunal fédéral ainsi que par des juridictions vaudoises et genevoises. Outre la Convention des droits de l’homme le Tribunal fédéral s’est notamment prononcé sur la protection des sources, l’obligation de garder le secret lorsque des faits ont déjà été portés à la connaissance du public ou encore sur le droit de consulter un jugement pénal.

1. Introduction

La présente chronique a pour vocation de présenter – sans prétendre à l’exhaustivité – une sélection d’arrêts rendus au cours de l’année écoulée en matière de droit pénal des médias et de procédure pénale en lien avec les médias. Les arrêts mentionnés dans la présente chronique émanent de la CEDH, du Tribunal fédéral suisse, du Tribunal pénal fédéral ainsi que des autorités judiciaires vaudoises et genevoises.

2. Confirmation de l’interdiction de photographier un présentateur de météo en détention

Décision Bild GmbH & CO. KG et Axel Springer AG c. Allemagne (nos 62 721/13 et 62 741/13) du 17 janvier 2019: la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que l’interdiction faite au quotidien Bild de publier ou diffuser la photo du présentateur de météo Jörg Kachelmann en détention provisoire (il avait finalement été acquitté des accusations de viol et de coups et blessures sur son ancienne épouse) n’a pas violé la Convention. Même si la photo litigieuse n’avait pas de caractère diffamatoire, péjoratif ou dégradant pour l’image de l’intéressé, elle le montrait néanmoins dans une situation – la cour d’une prison – où il ne pouvait pas s’attendre à être photographié.

3. Un journaliste prévenu ne peut pas objecter la protection des sources pour s’opposer à la levée des scellés

TF 1B_550/2018 du 6 août 2019 : Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a considéré qu’un journaliste, à l’encontre duquel une enquête pénale était menée (et dans laquelle il lui était reproché d’avoir eu accès sans autorisation à des élevages de poulets dans différents cantons et d’y avoir réalisé des enregistrements vidéos), ne pouvait se prévaloir de son droit de refuser de témoigner afin de s’opposer à la levée de scellés sur des données séquestrées chez lui qu’il a lui-même produites. Selon l’articles 264 al. 1 let c. « quels que soient l’endroit où ils se trouvent et le moment où ils ont été conçus, ne peuvent être séquestrés les objets et les documents concernant des contacts entre le prévenu et une personne qui a le droit de refuser de témoigner en vertu des art. 170 à 173, si cette personne n’a pas le statut de prévenu dans la même affaire ». L’art. 264 al. 3 CPP prévoit quant à lui que « si un ayant droit s’oppose au séquestre d’objets ou de valeurs patrimoniales en faisant valoir son droit de refuser de déposer ou de témoigner ou pour d’autres motifs, les autorités pénales procèdent conformément aux dispositions régissant la mise sous scellés ». Notre Haute Cour a rappelé à cet égard que le droit de refus de témoigner comprend notamment la protection des sources des professionnels des médias (art. 172 al. 1 CPP). Le Tribunal fédéral a ensuite opéré une distinction entre (i) la correspondance (communication et trafic de données) du recourant avec des travailleurs des médias de la SRF – qui ne sont eux-mêmes pas co-incriminés dans la procédure pénale – et (ii) d’autres objets (caméras et dispositif GPS) saisis en mains du recourant. Pour notre Haute Cour, la première catégorie est couverte par la protection journalistique des sources. Cependant, en l’espèce il a été considéré que le recourant n’avait pas suffisamment motivé sa requête de levée de scellés, n’indiquant pas sur quel dispositif de communication et à quel endroit se trouvait la correspondance journalistique avec le SRF et ne précisant pas au Tribunal des mesures de contraintes quels contacts stockés électroniquement pouvaient concerner de prétendues communications avec la SRF. Le Tribunal fédéral a ainsi considéré que l’instance inférieure n’avait pas l’obligation de rechercher d’office de très grandes quantités de données afin d’enquêter elle-même sur la localisation de toute communication et de tout trafic de données avec la rédaction de la SRF qui pourraient être soumis à la protection du secret. En revanche, selon le Tribunal fédéral, la seconde catégorie ne bénéficie pas de la protection des sources, dès lors que le plaignant est prévenu de coactivité -ou du moins de participation- aux infractions faisant l’objet de l’enquête pénale précitée. Or notre Haute Cour rappelle qu’à teneur de l’art. art. 172 al. 1 en lien avec l’art. 264 al. 1 let. c CPP, un journaliste ne peut se prévaloir du secret des sources que s’il n’est pas lui-même prévenu, à l’instar de ce que prévoit le CPP s’agissant de la protection du secret professionnel des avocats ou des médecins (art. 170 CPP). Le Tribunal fédéral estime en effet qu’il serait contraire à l’objectif juridique de la protection des sources de privilégier les professionnels des médias formellement prévenus et sérieusement suspectés.

4. Refus de récusation de magistrats ensuite de l’évocation d’une affaire pénale au journal télévisé et d’un article de journal

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TF 1B_178/2019 du 15 mai 2019: Le Tribunal fédéral a jugé que la récusation de magistrats et d’un greffier ne se justifiait pas en présence d’un président qui avait, dans le cas d’un prévenu renvoyé en jugement afin de répondre de diverses infractions d’ordre sexuel, ordonné le huis clos mais autorisé les chroniqueurs dûment accrédités auprès des tribunaux à assister aux débats (à la double condition que la chronique judiciaire respecte l’anonymat des parties et que les enregistrements audio et vidéo à l’intérieur du Tribunal soient prohibés) et transmis l’acte d’accusation à sept journalistes accrédités qui en avaient fait la demande. L’affaire pénale avait par la suite été évoquée du journal télévisé de 19h30 de la RTS et été mentionnée dans le Nouvelliste. Le Tribunal fédéral relève que le recourant ne conteste pas (i) que la campagne de presse qu’il dénonce était composée uniquement d’un article de presse et d’un reportage télévisé sur la RTS, (ii) que dans l’article de presse précité, il a été précisé qu’il admettait certains faits et en contestait d’autres et (iii) que toujours dans cet article, la parole a été donnée à son avocat. Notre Haute Cour a pour le surplus validé le raisonnement de l’autorité inférieure, selon lequel la « campagne de presse » dénoncée par le prévenu, si tant est qu’elle en soit une, « ne saurait être qualifiée de particulièrement violente », vu qu› « il s’agit uniquement du journal télévisé de 19h30 de la RTS du 21 janvier 2019 et de l’unique article du Nouvelliste du 22 janvier 2019 », qu’elle « ne saurait être qualifiée d’unilatérale, dès lors que les faits admis par le recourant, dont le nom n’est pas cité, et ceux qu’il conteste, sont clairement spécifiés dans chacun des sujets traités, dans le respect de la présomption d’innocence ». Faute de tout indice laissant à penser que l’opinion de la juridiction saisie pourrait avoir été déformée, il n’y avait pas lieu de mettre en doute l’indépendance des magistrats et du greffier concernés.

5. Confirmation de discrimination raciale pour un journaliste ayant manifesté son adhésion aux théories négationnistes de Robert Faurisson

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TF 6B_350/2019 du 29 mai 2019 : Le Tribunal fédéral a confirmé que le comportement d’un journaliste ayant publié plusieurs articles, pendant près d’un an, dans un journal librement accessible au public sur Internet, dans lesquels il a manifesté son adhésion aux théories négationnistes de Robert Faurisson et les a valorisées, traitant les victimes et les témoins des chambres à gaz du régime nazi de menteurs, suggérant que ces «bobards» reposaient sur des intérêts financiers et tournant en ridicule toute personne y accordant foi, était dicté par un mobile discriminatoire au sens de l’art. 261bis al. 4 in fine CP. Selon le Tribunal fédéral, en l’occurrence, le fait que les articles incriminés s’inscrivent, par leur ton polémique, dans la ligne éditoriale du périodique édité par le recourant, ne saurait de toute évidence suffire à envisager une exception au principe selon lequel celui qui exprime publiquement la théorie du «mensonge d’Auschwitz» est guidé par un mobile discriminatoire. La volonté de remettre en cause les lieux communs, la pensée unique, le politiquement correct, cela «dans le but de plaire à son public» comme l’affirme le recourant, n’explique en aucune façon la diffusion d’une thèse véhiculant la haine raciale. Enfin, selon notre Haute Cour, le recourant n’œuvrait pas dans le cadre de recherches scientifiques sérieuses, ni dans celui de débats politiques ou idéologiques dénués de haine. D’autre part, le grief de violation de la liberté d’expression soulevé par le journaliste en question a également été rejeté par le Tribunal fédéral. Après avoir dressé une liste de décisions aux termes desquelles la CEDH a déclaré irrecevables des requêtes portant sur la négation de l’Holocauste et sur d’autres propos concernant les crimes nazis (notamment Perinçek contre Suisse, Marais c. France, Garaudy c. France, Dieudonné M’Bala M’Bala c. France), le Tribunal fédéral a considéré que le cas d’espèce s’inscrit dans la ligne de l’affaire M’Bala M’Bala (Dieudonné).

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Ainsi, pour notre Haute Cour, sous couvert d’une prétendue quête de vérité, le recourant a remis en cause la volonté du régime nazi de procéder à une extermination humaine de masse et accusé de falsification de l’Histoire les victimes elles-mêmes, diffamant de cette manière la communauté juive et incitant à la haine à leur égard. Notre Haute Cour a ainsi considéré que les textes litigieux, tant dans leur contenu que dans leur style, ont un caractère négationniste et antisémite marqué, la condamnation du recourant constituant une ingérence nécessaire à la sauvegarde de l’intérêt public, respectivement une mesure nécessaire, dans une société démocratique, pour le maintien de l’ordre public et la protection de la réputation ou des droits d’autrui.

6. Pas de prolongation de l’obligation de garder le secret (73 CPP) à la charge de la partie plaignante pour une procédure ayant bénéficié d’une certaine publicité dans les médias

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TPF SN.2019.32 du 18 décembre 2019 : Le Tribunal pénal fédéral (TPF) a rejeté le recours de A. – reconnu coupable, par ordonnance pénale et de classement partiel du MPC du 17 septembre 2019, de complicité de corruption passive d’agents publics étrangers – par lequel il requérait la prolongation, jusqu’au prononcé du jugement, de l’interdiction faite à la partie plaignante B. et à ses conseils de porter à la connaissance de tiers l’existence de l’ordonnance pénale et de classement partiel précitée, laquelle avait été prononcée jusqu’au 30 novembre 2019. Selon le TPF, l’obligation de garder le secret au sens de l’art. 73 CPP ne peut concerner que des informations dont le caractère est secret, des informations portées à la connaissance du public (cf. art. 74 CPP) ou notoires ne pouvant pas faire l’objet d’une telle obligation. Dans le cas d’espèce, il a été jugé que la procédure pénale instruite par le MPC à l’encontre de A. ayant bénéficié d’une certaine publicité dans les médias suisses et internationaux (plusieurs médias – tant suisses qu’internationaux – ayant relaté les faits qui lui sont reprochés, tels que décrits dans l’ordonnance pénale et de classement partiel du 17 septembre 2019, le prévenu étant -dans tous ces articles- cité nommément en lien avec les accusations de corruption décrites dans l’ordonnance du 17 septembre 2019 et le nom de la partie plaignante B. y étant également parfois mentionné), les faits que la Cour est appelée à juger, tels que décrits dans l’ordonnance précitée, ne peuvent plus être qualifiés de secrets au sens de l’art. 73 CPP. Partant, il a été considéré qu’une prolongation de l’obligation de garder le secret imposée à B et à ses conseils n’apparaissait pas justifiée. Le TPF a également rejeté le recours de la partie plaignante B. visant à ce que la même obligation de garder le secret soit également imposée au prévenu A. et au MPC, considérant que le MPC était déjà soumis à l’obligation de garder le silence sur les faits de la cause (art. 73 al. 1 CPP) et que l’obligation de garder le silence sur la procédure ne pouvait pas être imposée au prévenu en application de l’art. 73 al. 2 CPP, rappelant qu’en tout état de cause, les faits litigieux ne sont plus secrets.

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Le TPF a en effet exposé que l’art. 73 al. 2 CPP permet à la direction de la procédure d’obliger la partie plaignante et d’autres participants à la procédure, notamment les témoins, à garder le silence sur la procédure et les personnes impliquées, mais qu’elle ne concerne pas le prévenu et ses défendeurs, ni les journalistes, pour lesquels cette obligation n’est pas applicable. Pour le prévenu, seule une interdiction de communiquer au sens de l’art. 237 al. 2 let. g CPP peut éventuellement entrer en considération. S’agissant des membres des autorités pénale, elles sont tenues de garder le silence sur les faits qui parviennent à leur connaissance dans l’exercice de leur activité officielle en application de l’art. 73 al. 1 CPP.

7. Confirmation du refus de consultation d’un jugement pénal par un conseiller en communication

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TF 1C_616/2018 du 11 septembre 2019 : Le Tribunal fédéral a rejeté le recours d’un conseiller en communication, qui s’était vu refuser, par le Tribunal d’arrondissement de Lausanne, la consultation d’un jugement pénal rendu à l’encontre de B, qu’il avait requise au motif que dans le cas d’un CAS (Certificate of Advanced Studies) en magistrature, il dispensait un cours intitulé «Le journaliste, garant de la publicité» et désirait obtenir un exemple concret d’une personnalité publique ayant «bien survécu à la médiatisation de sa condamnation». Selon le Tribunal fédéral, le droit de consulter les décisions judiciaires n’est pas inconditionnel. La consultation d’un jugement pénal porte en effet nécessairement atteinte à la sphère privée, voire intime, des personnes qui y sont mentionnées, laquelle est protégée par l’art. 13 Cst. Il ne peut donc y être porté atteinte qu’aux conditions de l’art. 36 Cst., soit notamment au terme d’une pesée d’intérêts et dans le respect du principe de la proportionnalité. Dans le cadre de la pesée d’intérêts, il y a lieu de prendre en compte d’une part les motifs de la demande de consultation et, d’autre part, la gravité de l’atteinte aux droits de la personnalité. Le requérant doit ainsi exposer précisément les motifs de sa demande et en circonscrire précisément l’objet, et l’autorité doit le cas échéant examiner au cas par cas si, et dans quelle mesure le jugement doit être anonymisé. En l’espèce, le Tribunal fédéral estime qu’il n’est pas exclu que la consultation du jugement puisse être d’une certaine utilité pour illustrer le cas d’une personne qui aurait «bien survécu à la médiatisation de sa condamnation». Cela étant, le jugement en question ne dit rien sur la médiatisation ayant entouré l’affaire, et n’apporterait aucun renseignement sur les suites que cette décision a pu avoir pour l’intimé.

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En outre, il n’est pas contesté que l’identité du condamné, les faits reprochés et la peine prononcée sont connus sur la base des renseignements déjà disponibles. Dans le cadre de la pesée d’intérêts, il y a lieu aussi de tenir compte du fait que la consultation du jugement, même si celui-ci remonte à plus de dix ans, entraînerait la révélation de données sensibles de l’intimé (notamment sur sa situation personnelle et financière). Enfin, le recourant avait, en tant que conseiller en communication, des liens étroits avec le groupe C., lequel était opposé à l’intimé B. dans des procédures judiciaires fortement médiatisées. Le Tribunal fédéral a ainsi jugé qu’au regard de l’atteinte potentielle à la personnalité de B. par la révélation du contenu d’un jugement pénal le concernant, les motifs allégués par le recourant A n’apparaissaient pas suffisants. 

8. Propos à l’égard d’un municipal jugés non attentatoires à son honneur

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Arrêt de la Chambre des recours pénale vaudoise du 13 septembre 2019/749 : La Chambre des recours pénale du canton de Vaud a considéré que les propos retranscrits dans un article au sujet d’un municipal G., (« Ils nous ont constamment mis les bâtons dans les roues. Nous avons tiré la sonnette d’alarme depuis le mois de septembre 2017 à propos d’affaires troubles concernant le département de G. (selon les révélations du quotidien V. ce dernier aurait touché CHF […] de la A. qu’il présidait, active dans le domaine des logements sociaux, sous la forme de versement effectués à sa société […], NDLR) »), lequel fait l’objet d’une enquête pénale pour gestion déloyale et gestion déloyale d’intérêts publics en relation avec ses activités de président de la A. et qui a été suspendu de ses fonctions (cf. TF 1C_44/2019 du 29 mai 2019), ne sont pas attentatoires à l’honneur de ce dernier. La Chambre des recours a commencé par rappeler que la réputation relative à l’activité professionnelle ou au rôle joué dans la communauté n’est pas pénalement protégée ; il en va ainsi des critiques qui visent, comme tels, la personne de métier, l’artiste, le politicien ou la politicienne, même si elles sont de nature à blesser et à discréditer. Dans la discussion politique, l’atteinte à l’honneur punissable ne doit être admise qu’avec retenue et, en cas de doute, niée. La liberté d’expression indispensable à la démocratie implique que les acteurs de la lutte politique acceptent de s’exposer à une critique publique, parfois même violente, de leurs opinions. La critique ou l’attaque porte en revanche atteinte à l’honneur protégé par le droit pénal si, sur le fond ou dans la forme, elle ne se limite pas à rabaisser les qualités de l’homme politique et la valeur de son action, mais est également propre à l’exposer au mépris en tant qu’être humain.

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Dans le cas d’espèce, la Chambre de recours a considéré que la formulation employée n’est pas humiliante au point de faire passer le recourant pour une personne méprisable au sens de la jurisprudence précitée, que l’usage des termes «affaires troubles» entre dans le cadre de ce que n’importe qui doit raisonnablement pouvoir endurer, à plus forte raison un homme politique, qui doit supporter d’être exposé à la critique et enfin, qu’il ne s’agit pas non plus d’accusations d’avoir adopté un comportement pénalement illicite.

9. La publication, par un journaliste étranger, d’articles dans un journal suisse et qui s’adresse à un public suisse crée un for en Suisse

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Arrêt de la Chambre des recours pénale vaudoise du 7 février 2019/101: La Chambre des recours pénale vaudoise a confirmé la compétence du Ministère public central du canton de Vaud dans le cas d’un journaliste indépendant résidant en France, contre lequel une plainte avait été déposée pour diffamation et calomnie à la suite de différents articles prétendument attentatoires à l’honneur qu’il avait publiés dans un journal et sur un blog sous un pseudonyme. Dite autorité a considéré que l’importation de l’un des articles litigieux paru dans le journal D. qui a son siège à Lausanne et qui s’adresse à un public cible suisse, voire romand, lui était imputable, de sorte que le Ministère public avait retenu à juste titre l’existence d’un résultat en Suisse au sens de l’art. 8 al. 1 CP et s’était déclaré compétent pour instruire les plaintes précitées. 

10. Propos au sujet d’une radio jugés non attentatoires à son honneur et non constitutifs de concurrence déloyale

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Arrêt de la Chambre des recours pénale vaudoise du 23 septembre 2019/774 : La Chambre des recours pénale vaudoise a rejeté le recours interjeté par G SA, exploitante d’une radio, contre une ordonnance de non-entrée en matière rendue ensuite de sa plainte pénale contre T., journaliste au journal Q., ainsi que contre des personnes indéterminées au sein du Groupe S. pour diffamation et violation de LCD à la suite de la parution d’un article publié dans la version papier du journal Q., puis, à quelques différences près, sur la page Internet de celui-ci. Cette autorité retient qu’il ressort des termes mêmes des articles incriminés que (i) H. est la seule radio romande à avoir renoncé à sa concession et qu’elle n’est dès lors plus tenue de faire valider ses programmes, (ii) parmi les nombreux employés licenciés, certains critiquent cet abandon de contrôle sur une radio privée, (iii) cette radio semble avoir engagé énormément d’animateurs venus de France et (iv) dans un encart, le directeur d’une radio concurrente déclare que la concession est pour lui un label de qualité et un gage de service public.

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La Chambre des recours pénale en déduit que les propos articulés dans cet article touchent uniquement à l’activité socio-professionnelle de la recourante et qu’aucune assertion contenue dans ces publications, si tant est qu’elles soient propres à ternir sa réputation, ne la fait apparaître comme méprisable. En particulier, le fait de dire qu’elle engage des collaborateurs à l’étranger ne fait pas passer la personne morale pour méprisable, et les allégations relatives à l’abandon de sa concession – qui précisent au demeurant la licéité de la démarche – vont parfaitement dans le sens de son slogan « […]». Dite autorité arrive ainsi à la conclusion que les propos contenus dans l’article incriminé, que ce soit dans sa version papier, sur le site Internet du journal Q. ou sur le compte Twitter du journaliste, ne sont pas attentatoires à l’honneur de la société G. SA. Pour la Chambre de recours pénale, il en va de même des commentaires anonymes publiés dans le forum de discussion du journal Q. sur Internet, qui, bien que critiques à l’égard de la radio H., relèvent encore de la liberté d’expression, cette dernière autorité précisant encore que la société G. SA n’a au demeurant pas la qualité pour se plaindre des éventuelles allégations directement dirigées contre K., la qualité pour agir revenant à celui-ci personnellement. Enfin, selon la Chambre de recours, il n’appartient pas au juge pénal de se prononcer sur les éventuelles violations de l’éthique journalistique reprochées à T.

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La Chambre des recours rejette également les griefs liés à la LCD, considérant qu’il ne ressort du dossier de la cause aucun indice concret d’une campagne de dénigrement du Groupe S. à l’encontre de G. SA ou de sa radio H et que dans la mesure où les éléments constitutifs de l’infraction de diffamation font défaut, toute responsabilité pénale du Groupe S. sous l’angle de la LCD est exclue. En effet, pour qu’un propos soit dénigrant au sens de l’art. 3 al. 1 let. a LCD, il faut qu’il rende son concurrent méprisable, ce qui, on l’a vu, n’a pas été retenu dans le cas d’espèce

11. La liberté d’expression prime dans l’affaire Ramadan

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Arrêt de la Chambre pénale de recours de la Cour de justice genevoise du 3 juillet 2019 – ACPR/506/2019: La Chambre pénale de recours de la Cour de justice genevoise a, dans cet arrêt, confirmé le refus du Ministère public genevois d’ordonner à la femme ayant déposé plainte contre Tariq Ramadan le 13 avril 2018 et à ses avocats de garder le silence sur la procédure. Il a d’abord été rappelé que la règle est que les parties et autres participants à la procédure sont libres de s’exprimer sur une affaire, sauf injonction contraire émanant de la direction de la procédure (art. 73 al. 2 CPP) assortie de la commination prévue à l’art. 292 CP. En l’occurrence, la Chambre pénale a estimé que «le recourant n’établit pas en quoi, au-delà du déplaisir qu’elles lui causent, les prises de position publiques des avocats de sa partie adverse excédaient ce qui est admissible selon la pesée des intérêts voulue par le législateur, lorsqu’il a édicté des conditions différenciées à l’art. 73 al. 1 et al. 2 CPP, et qu’en s’exprimant eux-mêmes par voie de presse, les avocats du recourant tendent, du reste, à corriger le déséquilibre dont ils se plaignent». Cette décision a été confirmée par arrêt du Tribunal fédéral du 16 janvier 2020 (TF 1B_435/2019), qui sera traité dans la chronique relative à l’année 2020.

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