Un droit à la newsletter?

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L’analyse des pratiques fédérales à la lumière de l’arrêt A-4302/2018 du Tribunal administratif fédéral

Dominique Hänni, Docteure en droit
Célian Hirsch, Avocat, Doctorant au Centre de droit bancaire et financier de la Faculté de droit de l’Université de Genève

Zusammenfassung: Verschiedene Verwaltungs- und Justizbehörden verschicken den akkreditierten Journalistinnen und Journalisten elektronische Newsletter. Diese enthalten oft Informationen über die Verwaltungs- oder Gerichtspraxis. Im folgenden Beitrag befassen sich die Autoren mit einem Entscheid des Bundesverwaltungsgerichts (A-3402/2018 vom 15. Februar 2019), der einem Anwalt, der gleichzeitig als Blogger tätig war, das Recht einräumte, einen solchen Newsletter zu abonnieren, da er in der gleichen bzw. in einer ähnlichen Situation war wie die akkreditierten Journalisten. Damit fördert das Bundesverwaltungsgericht die Transparenz der Verwaltung. Mit Blick auf diesen Entscheid, analysieren wir anschliessend die Praxis in Sachen Newsletter verschiedener Bundesbehörden.

Résumé: Certaines autorités fédérales, judiciaires ou administratives, envoient aux journalistes accrédités des newsletters électroniques contenant des informations sur leurs pratiques. Dans cette contribution, nous présentons un récent arrêt du Tribunal administratif fédéral (A-3402/2018 du 15 février 2019) qui accorde aux avocats-blogueurs le droit de s’abonner à des newsletters officielles, à condition qu’ils soient dans la même situation ou une situation semblable que les journalistes accrédités. Dans ce sens, l’arrêt favorise l’information et la transparence de l’activité étatique. Nous analysons ensuite la pratique actuelle de plusieurs autorités fédérales au regard des conclusions de l’arrêt commenté.

Table des matières

I. Introduction          N 1

II. L’information active de la part des autorités étatiques         N 4
      1. Une obligation générale d’informer       N 5
      2. L’égalité de traitement dans l’information active       N 10

III. L’arrêt du Tribunal administratif fédéral A-3402/2018 du 15 février 2019
     1. La newsletter de Swissmedic          N 13
     2. Un avocat-blogueur à la recherche de l’information          N 15
     3. L’avocat-blogueur et la journaliste : une égalité dans l’accès à l’information ?     N 17
         A. La newsletter contenant des décisions anonymisées          N 18
         B. L’envoi sur demande de décisions non anonymisées         N 20
     4. La portée de l’arrêt         N 23

IV. L’envoi de newsletters : la pratique des autorités         N 26
     1. Les autorités administratives fédérales          N 27
         A. La FINMA          N 27
         B. La COMCO         N 28
         C. La ComCom         N 29
     2. Les autorités judiciaires
         A. Le Tribunal fédéral         N 30
         B. Le Tribunal administratif fédéral         N 32
         C. Le Tribunal pénal fédéral         N 34
         D. Le Pouvoir judiciaire du canton de Genève        N 35
         E. L’Ordre judiciaire du canton de Vaud         N 37
3. Analyse et perspectives        N 38

V. Conclusion N 40


Cet article est paru dans la revue de l’avocat, n° 11/12 / 2019.

I. Introduction

1

Certaines autorités fédérales, qu’elles soient judiciaire ou administrative, ont pour pratique de fournir activement des informations à des journalistes accrédités[1], souvent sous forme de newsletters électroniques. Les newsletters contiennent selon l’autorité des listes de jurisprudence, des résumés clairs et succincts de décisions importantes ou encore des précisions sur la pratique de l’autorité dans la mise en œuvre de la loi. Ces informations peuvent le cas échéant être intéressantes et utiles pour d’autres personnes, entre autres les avocats. Il se pose donc la question de savoir à quelles conditions d’autres personnes ont également le droit de s’abonner à ces newsletters.

2

Dans un cas récent, un courageux avocat, désireux d’avoir accès à plus d’informations, a saisi le Tribunal administratif fédéral suite au refus de l’Institut suisse des produits thérapeutiques (Swissmedic) de lui accorder le même accès aux informations que celui accordé aux journalistes. Le Tribunal administratif fédéral a ainsi été amené à préciser le droit à l’information, comparant la situation de l’avocat à celle du journaliste accrédité.

3

Dans la présente contribution, nous présenterons dans un premier temps quelques généralités en matière d’information active de la part des autorités étatiques (B.). Dans un deuxième temps, nous reviendrons sur l’état de fait du cas susmentionné ainsi que sur les développements et le raisonnement retenus par le Tribunal administratif fédéral dans l’arrêt A-3402/2018 du 15 février 2019 (C.). Dans un troisième temps, nous analyserons la pratique actuelle d’information active de quelques autorités judiciaires et administratives au regard de l’arrêt susmentionné du Tribunal administratif fédéral (D.).

II. L’information active de la part des autorités étatiques

4

L’information fournie par les autorités peut être subdivisée en information passive et information active. On parle d’information passive lorsque l’État communique des documents ou des informations à la suite d’une demande d’accès à des documents officiels de la part d’une administrée. En revanche, on désigne par information active la communication spontanée, par l’État, de documents ou d’informations sur l’activité étatique[2]. Dans le présent article, nous nous intéressons à ce deuxième type : l’information active.

1. Une obligation générale d’informer

5

La Constitution fédérale contient diverses normes relatives à l’information active. D’une part, l’art. 16 al. 3 Cst. garantit à toute personne le droit de recevoir librement des informations, de se les procurer aux sources généralement accessibles et de les diffuser. La liberté d’information ne contient cependant pas une obligation générale pour les autorités de fournir activement des informations aux citoyennes et ne leur accorde pas un droit subjectif généralisé à l’information active[3].

6

D’autre part, l’art. 180 al. 2 Cst. prévoit que « le Conseil fédéral renseigne le public sur son activité en temps utile et de manière détaillée, dans la mesure où aucun intérêt public ou privé prépondérant ne s’y oppose ». Le Conseil fédéral et l’administration qui lui est soumise jouissent d’une large marge de manœuvre dans la mise en œuvre de cette obligation générale d’informer[4]. Toutefois, à l’instar de l’art. 16 Cst., l’art. 180 al. 2 Cst. ne contient pas un droit subjectif généralisé à l’information active.

7

Cette obligation constitutionnelle générale d’informer est reprise tant dans la LOGA[5] et l’OLOGA[6] que dans la LTrans[7]. Cette dernière traite avant tout du droit d’accès aux documents officiels, c’est-à-dire de l’information passive. L’art. 21 LTrans et les art. 18 et 19 OTrans[8] obligent néanmoins les autorités à publier sur internet des informations sur les domaines et les affaires importantes qui relèvent de leur compétence, de mettre à disposition des intéressés des informations susceptibles de faciliter la recherche ainsi que de publier des documents officiels importants[9].

8

Mentionnons encore que des droits subjectifs peuvent exister dans des domaines spécifiques et dans un cadre bien défini (cf. p. ex. 24 al. 2 LMP[10] ou art. 10e al. 1 let. a LPE[11]). Dans ces cas spécifiques, la citoyenne a le droit à ce que les autorités publient des informations précises.

9

On peut donc retenir que tant la Constitution fédérale que plusieurs lois fédérales contiennent des obligations pour les autorités d’informer activement les citoyennes. Elles ne garantissent cependant pas un droit subjectif généralisé à l’information active aux citoyennes.

2. L’égalité de traitement dans l’information active

10

L’information active de la part des autorités étatiques, qu’elle intervienne en vertu d’une obligation de publication ou en vertu de l’obligation générale d’informer, est une activité de l’État au sens de l’article 5 Cst[12]. En tant que telle, elle doit respecter les principes fondamentaux du droit public, notamment les principes de légalité, de l’intérêt public, de la proportionnalité, de la bonne foi, de l’interdiction de l’arbitraire et de l’égalité de traitement (art. 5, 8 et 9 Cst.). C’est ce dernier principe qui nous intéresse particulièrement dans le cadre de la présente contribution.

11

Le principe d’égalité de traitement « commande de traiter de la même manière les situations semblables et de manière différente les situations dissemblables »[13]. En d’autres termes, il interdit « d’opérer entre des personnes des distinctions qui ne trouvent pas de justification objective ou de traiter de façon semblable des situations tellement différentes qu’elles exigent un traitement différent »[14].

12

Appliqué au domaine de l’information, cela signifie que les autorités doivent transmettre les mêmes informations aux personnes qui se trouvent dans des situations identiques ou semblables. Formulé différemment, si les autorités étatiques ont une pratique d’information active qui exclut certaines personnes, il faut que cette exclusion soit fondée sur des raisons objectives. Dans les lignes qui suivent, nous nous pencherons sur un cas d’information active où le principe d’égalité de traitement a été violé.

III. L’arrêt du Tribunal administratif fédéral
A-3402/2018 du 15 février 2019

1. La newsletter de Swissmedic

13

L’Institut suisse des produits thérapeutiques (Swissmedic) est un établissement de droit public compétent pour autoriser et surveiller les produits thérapeutiques mis sur le marché helvétique[15]. Dans ce cadre, il est chargé de la poursuite pénale d’une partie importante des infractions commises en violation de la loi sur les produits thérapeutiques[16] et prononce des sanctions pénales.

14

Swissmedic informe les journalistes accrédités de sa pratique en matière de procédures et sanctions pénales à l’aide d’une newsletter envoyée trois à quatre fois par an. Celle-ci comprend une liste anonymisée des procédures pénales administratives avec notamment une description des faits constitutifs de l’infraction et le montant des sanctions. Les journalistes peuvent ensuite demander l’accès aux décisions non anonymisées[17].

2. Un avocat-blogueur à la recherche de l’information

15

En décembre 2017, un avocat désirant être mieux renseigné au sujet de la pratique en matière de procédures et de sanctions pénales de Swissmedic demande à ce dernier de lui envoyer la newsletter en principe réservée aux journalistes. Le requérant exerce non seulement le métier d’avocat, mais tient également un blog sur Internet. Sur son blog, il informe, de manière régulière et gratuite, le public intéressé des principales décisions des tribunaux et des autorités suisses dans le domaine de la santé et des produits pharmaceutiques.

16

À la suite du rejet de sa demande par Swissmedic, l’avocat-blogueur dépose un recours auprès du Tribunal administratif fédéral afin de pouvoir recevoir les mêmes newsletters que les journalistes.

3. L’avocat-blogueur et la journaliste : une égalité dans l’accès à l’information ?

17

Dans la mesure où la newsletter de Swissmedic constitue une information active, elle doit intervenir dans le respect des principes constitutionnels[18] et notamment le principe de l’égalité de traitement (art. 8 Cst.)[19]. Le Tribunal administratif fédéral doit alors déterminer si, en l’espèce, l’avocat requérant se trouve dans une situation semblable à celle des journalistes accrédités. Pour trancher cette question, il distingue (a) l’envoi de la newsletter anonymisée de (b) l’envoi sur demande des décisions non anonymisées.

A. La newsletter contenant des décisions anonymisées

18

Bien que l’avocat ne soit pas un journaliste, il est néanmoins actif dans le secteur de la santé et informe régulièrement et gratuitement le public intéressé des principales décisions des tribunaux et des autorités suisses dans le domaine de la santé et des produits pharmaceutiques. Aux yeux du Tribunal administratif fédéral, il dispose donc d’un intérêt à recevoir la newsletter de Swissmedic, tout comme les journalistes[20]. Par ailleurs, le fait que les informations contenues dans la newsletter soient anonymisées permet à Swissmedic de s’assurer que l’avocat, qui n’est pas soumis aux mêmes devoirs de confidentialité des journalistes accrédités, n’utilise pas à mauvais escient les informations reçues[21].

19

Ces deux points – l’intérêt à informer le public et l’anonymisation des données – permettent au Tribunal administratif fédéral de considérer que l’avocat requérant et les journalistes accrédités se trouvent dans une situation semblable et doivent dès lors être traités de la même manière. Il s’ensuit que le refus de Swissmedic d’envoyer la newsletter à l’avocat-blogueur viole le principe de l’égalité de traitement. Partant, le Tribunal administratif fédéral ordonne à Swissmedic d’offrir à l’avocat la possibilité de recevoir sa newsletter[22].

B. L’envoi sur demande de décisions non anonymisées

20

En plus de la newsletter, les journalistes accrédités ont accès gratuitement, par voie informatique aux décisions non anonymisée énumérées dans la newsletter de Swissmedic. Le Tribunal administratif fédéral raisonne de nouveau à l’aide du principe de l’égalité de traitement et analyse si l’avocat-blogueur et la journaliste accréditée se trouvent dans une situation semblable.

21

Il souligne d’emblée que seuls les journalistes accrédités[23] ont un accès privilégié à l’information[24]. Cette distinction se justifie non seulement en raison du caractère sensible des données[25] qui leur sont transmises, mais également en raison des obligations réglementaires qui sont liées à l’accréditation. Or ni la LLCA ni les règles déontologiques de l’avocat ne prévoient une garantie semblable à celles des journalistes accrédités, à savoir l’obligation de garder confidentielles les données personnelles reçues par les tribunaux et autorités administratives. Au contraire, l’avocat qui recevrait des arrêts non anonymisés pourrait se retrouver dans une situation de conflit d’intérêts au sens de l’art. 12 let. c LLCA. En effet, il devrait, d’une part, garder confidentielles les données personnelles reçues et, d’autre part, conseiller ses clients à l’aide de ces informations[26].

22

Le Tribunal administratif fédéral considère ainsi que l’exigence d’accréditation repose sur des motifs objectifs et raisonnables. Partant, le traitement différent de l’avocat-blogueur de la part de Swissmedic quant à l’envoi sur demande de décisions non anonymisés est justifié : il ne se trouve pas dans une situation semblable à celle des journalistes accrédités[27].

4. La portée de l’arrêt

23

L’arrêt du Tribunal administratif fédérale A-3402/2018 du 15 février 2019 a une portée pratique : toute personne qui informe le public intéressé dans un certain domaine a le droit de s’abonner à la newsletter anonymisée d’une autorité étatique active dans ce même domaine, sous réserve qu’une telle newsletter existe. En effet, ce qui vaut pour la newsletter de Swissmedic peut être transposé aux newsletters anonymisées d’autres autorités étatiques.

24

La conclusion à laquelle est arrivé le Tribunal administratif fédéral est en faveur de l’information et de la transparence. En effet, elle facilite la publication, la circulation et l’accès aux informations officielles. L’avocate-blogueuse, la journaliste ou toute autre personne informant le public ne doivent pas faire elles-mêmes la recherche des décisions administratives et autres informations, le cas échéant par une demande d’accès aux documents, mais reçoivent une newsletter contenant toutes les données pertinentes, ce qui représente pour elles un gain de temps. L’élargissement du cercle des personnes ayant le droit de s’abonner à ces newsletters existantes contribue ainsi à plus de transparence administrative.

25

Enfin, au regard du droit à la protection de la sphère privée, il se justifie de ne pas envoyer à l’avocat-blogueur les décisions non anonymisées. Son intérêt principal étant d’informer le public sur la pratique de l’autorité, il n’a pas besoin de recevoir dans sa boîte mail les décisions non caviardées.

IV. L’envoi de newsletters : la pratique des autorités

26

À la suite de l’arrêt du Tribunal administratif fédéral discuté ci-dessus, nous nous sommes intéressées à la pratique d’autres autorités étatiques en matière d’envoi de newsletters. Lorsque les informations à ce sujet n’étaient pas contenues dans un règlement ou un autre document librement accessible sur le site Internet des autorités, nous leur avons demandé l’accès à ces données, et cela, sur la base des diverses lois sur la transparence. Dans ce qui suit, nous présenterons les résultats de cette recherche suivie d’une brève analyse.

1. Les autorités administratives fédérales

A. La FINMA

27

La FINMA offre à toute personne la possibilité de s’inscrire sur son site Internet à MyFINMA, un espace contenant des informations que les personnes intéressées peuvent configurer selon leurs intérêts spécifiques. Ce service permet à tout un chacun de recevoir les informations auxquelles il voudrait avoir accès ; c’est donc une newsletter personnalisée. En revanche, la FINMA ne connaît pas de newsletter réservée aux journalistes à l’instar de Swissmedic. L’onglet « médias » disponible sur le site Internet de la FINMA et où sont publiés les communiqués de presse est par ailleurs accessible à chaque personne intéressée. La question du droit de s’abonner à une newsletter anonymisée réservée aux journalistes ne se pose donc pas pour cette autorité administrative.

B. La COMCO

28

La COMCO ne met pas à disposition des journalistes des informations spéciales ou non publiées sur son site Internet ; elle n’envoie donc pas de newsletters. Les décisions de la COMCO, ainsi que des communications et notes explicatives et parfois des communiqués de presse sont publiées sur son site Internet[28]. La question du droit de s’abonner à une newsletter anonymisée réservée aux journalistes ne se pose donc pas.

C. La ComCom

29

A l’instar de la COMCO, la ComCom ne publie pas de newsletters. Elle n’a donc pas non plus une pratique d’information active en faveur des journalistes ou un autre public cible. La ComCom publie cependant sur son site le rapport annuel, des données statistiques ainsi que de divers autres documents[29]. Selon l’actualité, la ComCom publie des communiqués de presse qui sont le cas échéant accompagnés d’une conférence de presse à laquelle sont conviées les journalistes. Là encore, la question du droit de s’abonner à une newsletter anonymisée réservée aux journalistes ne se pose pas.

2. Les autorités judiciaires

A. Le Tribunal fédéral

30

En plus de sa base de données d’arrêts librement accessible sur son site Internet, le Tribunal fédéral a créé un espace en ligne exclusivement réservé aux journalistes accréditées[30]. Sur cette plate-forme, ces dernières peuvent notamment trouver l’état de fait des causes qui seront délibérées lors de séances publiques. Ces états de fait sont parfois anonymisés, parfois pas – la décision d’anonymisation est prise par la présidence de la Cour concernée dans chaque cas d’espèce. Au vu de l’arrêt du Tribunal administratif fédéral commenté ci-dessus, nous pensons que toute personne qui a pour pratique d’informer gratuitement le public devrait pouvoir accéder à ces informations anonymisées.

31

De plus, les journalistes accrédités reçoivent certains arrêts du Tribunal fédéral, sous forme non anonymisée, sept ou trois jours avant leur publication. Cet envoi est néanmoins soumis à embargo[31]. Les journalistes ont ainsi le temps de prendre connaissance de l’arrêt et, éventuellement, de rédiger un article, lequel sera publié en même temps que la publication de l’arrêt. Enfin, les journalistes accrédités reçoivent également les communiqués de presse avec un embargo, quelques heures, voire quelques jours, avant leur publication sur internet[32].

B. Le Tribunal administratif fédéral

32

Selon sa Directive concernant la communication de la jurisprudence du 9 juin 2011[33], le Tribunal administratif fédéral envoie aux journalistes accrédités tous les arrêts matériels des Cours I, II et III ainsi que les arrêts matériels importants des Cours IV, V et VI. Ces arrêts sont en principe remis sous forme non anonymisée[34]. Néanmoins, dans certains domaines du droit[35], les journalistes reçoivent uniquement les arrêts sous forme anonymisée[36]. De plus, les journalistes accrédités reçoivent les avis d’audiences publiques, lesquelles sont également annoncées sur le site du Tribunal administratif fédéral et sur Twitter.

33

A notre avis, en application du principe de l’égalité de traitement en matière d’information active[37], l’avocate-blogueuse pourrait également prétendre à recevoir directement dans sa boîte mail les annonces d’audiences ainsi que les arrêts sous forme anonymisée qui sont envoyés aux journalistes accréditées. En effet, l’envoi aux seuls journalistes accrédités ne repose pas sur un motif de confidentialité ou sur un besoin de respect d’un embargo. De plus, ces informations sont également accessibles à tout un chacun sur le site du Tribunal administratif fédéral.

C. Le Tribunal pénal fédéral

34

Le Tribunal pénal fédéral envoie aux journalistes accréditées les actes d’accusation ainsi que les dispositifs, sous forme non anonymisée, des jugements communiqués en audience publique[38]. Les journalistes accréditées reçoivent également les prononcés destinés à la publication avant leur publication dans la base de données électronique, éventuellement soumis à un embargo. Etant donné que ces informations sont soumises à embargo ou remises sous forme non anonymisée, l’avocate-blogueuse ne pourra pas invoquer l’égalité de traitement pour également les recevoir.

D. Le Pouvoir judiciaire du canton de Genève

35

Le Pouvoir judiciaire genevois informe les journalistes de ses décisions principalement à l’aide de communiqués de presse. Ces derniers sont également disponibles sur le site Internet du Pouvoir judiciaire[39] pendant cinq ans[40] ; il n’est toutefois pas possible, pour les non-journalistes, de recevoir ces communiqués par e-mail. Les journalistes accrédités reçoivent les décisions uniquement s’ils en font la demande et sans perception d’émolument[41]. Ce service est également offert aux avocats, ceux-ci devant néanmoins s’affranchir d’un émolument s’ils désirent en obtenir une copie[42].

36

Il est à notre avis critiquable que la possibilité de recevoir les communiqués de presse dans sa boîte mail est donnée seuls aux journalistes accrédités ; d’autres personnes devraient avoir la possibilité de s’abonner à cette newsletter. Notons que toutes les autres autorités mentionnées dans cet article, tant administratives que judiciaires, permettent à quiconque de recevoir les communiqués de presse.

F. L’Ordre judiciaire du canton de Vaud

37

L’Ordre judiciaire vaudois accorde aux journalistes accrédités certains avantages. Premièrement, ces derniers reçoivent par courriel le programme des audiences pénales des tribunaux d’arrondissement et de la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal. Deuxièmement, à l’ouverture d’une audience publique dans une procédure pénale, il leur est remis en main propre une copie de l’acte d’accusation. Enfin, les journalistes accrédités ont le droit de consulter les jugements pénaux non anonymisés dans les locaux du greffe, au plus tôt le lendemain de sa lecture publique, respectivement le surlendemain de son expédition aux parties. L’Ordre judiciaire vaudois n’envoie donc pas de newsletters contenant des décisions non anonymisées ; l’avocate-blogueuse ne peut donc pas invoquer l’égalité de traitement pour avoir droit à recevoir les mêmes informations par mail.

3. Analyse et perspectives

38

Au vu de ce qui précède, nous pouvons faire trois constats. Premièrement, toutes les autorités fédérales et cantonales examinées informent le public de manière active ; elles agissent en conformité avec leur obligation générale d’informer qui découle de la Constitution fédérale. Deuxièmement, Swissmedic ainsi que toutes les autorités judiciaires examinées distinguent, dans leur information active, entre journalistes et non-journalistes. Troisièmement, nous avons vu que dans certains cas, cette distinction n’est pas justifiée au regard de l’arrêt du Tribunal administratif fédéral commenté ci-dessus. Cela est notamment le cas des annonces d’audiences et les arrêts anonymisés du Tribunal administratif fédéral ainsi que les communiqués de presse du Pouvoir judiciaire genevois. Selon la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral et en application du principe de l’égalité de traitement, les non-journalistes, ou du moins les personnes qui informent régulièrement le public dans un certain domaine sans pour autant être journaliste accrédité, devraient avoir le droit de recevoir ces informations sous forme de newsletter, comme c’est le cas pour les journalistes.

39

Parmi les différentes pratiques analysées, le modèle de la FINMA avec sa plateforme MyFINMA nous convainc le plus. En effet, la création d’un espace ouvert à toute personne intéressée, contenant toutes les informations, le cas échéant anonymisées, et que les intéressées peuvent configurer selon leurs intérêts spécifiques nous semble la meilleure solution pour l’information active. Une telle plate-forme n’empêcherait pas les journalistes accrédités de recevoir une newsletter spéciale contenant des informations non anonymisées. Cela est d’ailleurs également le modèle choisi par l’administration centrale de la Confédération[43].

V. Conclusion

40

Dans cette contribution, nous avons d’abord constaté que les autorités étatiques ont une obligation générale d’informer le public qui découle de la Constitution fédérale. Puisque l’information active constitue une activité étatique au sens de l’art. 5 Cst., les autorités doivent respecter les principes fondamentaux du droit public, et notamment l’égalité de traitement.

41

Nous avons ensuite commenté l’arrêt du Tribunal administratif fédéral A-3402/2018 du 15 février 2019, où l’égalité de traitement n’avait pas été respecté. En effet, Swissmedic n’a, à tort, pas envoyé la newsletter anonymisée à un avocat-blogueur. En revanche, cette autorité avait raison de ne pas envoyer une newsletter non anonymisée à ce même avocat-blogueur.

42

Dans la dernière partie, nous avons analysé les pratiques d’information active d’autres autorités étatiques. Nous avons constaté que certaines autorités opèrent une distinction entre journalistes et non-journalistes qui n’est à notre avis pas justifiée, étant donné qu’il s’agit dans ces cas de documents anonymisés. Au vu de ce qui précède, nous pouvons donc conclure qu’à certaines conditions, il existe effectivement un droit à la newsletter. L’élargissement du cercle des personnes ayant le droit de s’abonner à certaines newsletters contribuera à plus de transparence administrative.


Notes de bas de page:

  1. La forme féminine, tout comme la forme masculine, comprend tant les personnes de sexe féminin que masculin, ainsi que toute personne qui ne se reconnaît dans aucune des deux catégories.

  2. STEPHAN C. BRUNNER/LUZIUS MADER, Bundesgesetz über das Öffentlichkeitsprinzip der Verwaltung. Entstehung, Konzept, Kontext, N 79, in Brunner Stephan C./Mader Luzius (édit.), Öffentlichkeitsgesetz. Stämpflis Handkommentar, Berne 2008.

  3. Cf. p. ex. ATF 113 Ia 309, c. 4b ; arrêt du TAF du 15 février 2019, A-3402/2018, c. 2.2.2.

  4. STEPHAN C. BRUNNER/LUZIUS MADER, Bundesgesetz über das Öffentlichkeitsprinzip der Verwaltung. Entstehung, Konzept, Kontext, N 79, in Brunner Stephan C./Mader Luzius (édit.), Öffentlichkeitsgesetz. Stämpflis Handkommentar, Berne 2008.

  5. Loi sur l’organisation du gouvernement et de l’administration, RS 172.010. Notamment les art. 10, 10a et 40 LOGA (cf. PIERRE MOOR/ALEXANDRE FLÜCKIGER/VINCENT MARTENET, Droit administratif I : Les fondements généraux, 3e éd., Berne 2012, p. 975 ss).

  6. Ordonnance sur l’organisation du gouvernement et de l’administration, RS 172.010.1.

  7. Loi fédérale sur le principe de la transparence dans l’administration, RS 152.352.3

  8. Ordonnance sur le principe de la transparence dans l’administration, RS 152.31.

  9. Cf. également DOMINIQUE HÄNNI, Vers un principe d’intégrité de l’administration publique. La prévention de la corruption en droit administratif, Genève 2019, N 795.

  10. Loi fédérale sur les marchés publics, RS 172.056.1.

  11. Loi fédérale sur la protection de l’environnement, RS 814.01.

  12. ATF 113 Ia 309, c. 4b.

  13. Cf. p. ex. ATF 136 IV 97, c. 5.1. Cf. également RAINER J.SCHWEIZER/MARGRITH BIGLER-EGGENBERGER/REGULA KÄGI-DIENER, in BERNHARD EHRENZELLER ET AL. (édit.), Die schweizerische Bundesverfassung, St. Galler Kommentar, 3e éd., Zurich/St.Gall 2014, Art. 8 N 19.

  14. THIERRY TANQUEREL, Manuel de droit administratif, 2e éd., Genève 2018 , N 250.

  15. Art. 9 et art. 68 al. 2 LPTh.

  16. RS 812.21.

  17. A-3402/2018, c. 2.1.

  18. Cf. supra II.2.

  19. Cf. A-3402/2018, c. 2.2.2, et supra II.2.

  20. A-3402/2018, c. 2.2.3.

  21. Ibidem.

  22. Ibidem.

  23. Concernant le Tribunal fédéral, cf. Art. 3 des Directives concernant la chronique judiciaire du Tribunal fédéral (RS 173.110.133) ; concernant le Tribunal pénal fédéral, cf. art. 12 du Règlement du Tribunal pénal fédéral sur les principes de l’information (RS 173.711.33) ; concernant le Tribunal administratif fédéral, cf. art. 13 du Règlement du Tribunal administratif fédéral relatif à l’information (RS 173.320.4).

  24. A-3402/2018, c. 2.3.3.

  25. Cf. art. 3 let. c LPD.

  26. A-3402/2018, c. 2.3.3.

  27. Ibidem.

  28. https://www.weko.admin.ch/weko/fr/home.html (tous les liens indiqués dans le présent article ont été vérifiés pour la dernière fois la dernière fois le 3 mai 2020″).

  29. <https://www.comcom.admin.ch/comcom/fr/page-daccueil.html>.

  30. PETER JOSI, Medienarbeit des Bundesgerichts, in «Justice – Justiz – Giustizia», 2018/2, N 8 ; concernant l’accréditation comme instrument de communication active de la part des tribunaux, cf. MASCHA SANTSCHI KALLAY, Externe Kommunikation der Gerichte, Rechtliche und praktische Aspekte der aktiven und reaktiven Medienarbeit der Judikative, thèse, Berne 2018, p. 328 ss.

  31. Au sujet des embargos sur les arrêts, cf. MASCHA SANTSCHI KALLAY, (n. 30), p. 203 ss.

  32. Circulaire à tous les journalistes accrédités du 28 mars 2016 du Secrétaire général du Tribunal fédéral, ch. V.

  33. État au 28.6.2016. https://www.bvger.ch >Médias >Bases légales >Directive concernant la communication de la jurisprudence. <https://www.bvger.ch/dam/bvger/fr/dokumente/juricom/richtlinie_fuer_diekommunikationderrechtsprechung.pdf.download.pdf/directive_concernantlacommunicationdelajurisprudence.pdf>.

  34. Art. 4 al. 6 de la Directive concernant la communication de la jurisprudence du 9 juin 2011 du Tribunal administratif fédéral.

  35. Pour les affaires relevant du droit fiscal, du droit du personnel ou du droit d’asile, les procédures d’entraide administrative et les procédures concernant l’assurance invalidité, le service civil, des examens ou la reconnaissance de diplômes.

  36. Art. 4 al. 6 de la Directive concernant la communication de la jurisprudence du 9 juin 2011 du Tribunal administratif fédéral.

  37. Cf. supra II.2

  38. Art. 15 al. 1 let. e du Règlement du Tribunal pénal fédéral sur les principes de l’information du 24 janvier 2012 (RS 173.711.33).

  39. < http://ge.ch/justice/news>.

  40. Art. 16 al. 4 RComPJ/GE.

  41. Art. 5 al. 1 let. e RComPJ/GE.

  42. Art. 28 al. 7 LIPAD/GE ; cf. également le récent arrêt du Tribunal fédéral 1C_394/2018 du 7 juin 2019, commenté in : CÉLIAN HIRSCH, Le principe de la transparence et la publication de tous les arrêts cantonaux, in : <www.lawinside.ch/776/>.

  43. Cf. <www.admin.ch/gov/fr/start/dokumentation/medienmitteilungen/medienmitteilungen-abonnieren.login.html>.

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