La SSR devra diffuser un spot de VgT qui la critique

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Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 22 décembre 2020 (41723/14)

Bertil Cottier, professeur, Universités de Lausanne et Lugano

Zusammenfassung: Die Tierschutzorganisation Verein gegen Tierfabriken (VgT) hat vor dem Europäischen Gerichtshof für Menschenrechte einen weiteren Erfolg errungen: Das Schweizer Fernsehen muss einen Werbespot ausstrahlen, der anprangert, dass es die Kampagnen des VgT systematisch ignoriere. Die Richter in Strassburg waren der Ansicht, dass die Botschaft zur öffentlichen Debatte beitrage; sie sei ideeller, nicht kommerzieller Natur und solle ein möglichst breites Publikum erreichen. Folglich musste die SRG eine Beeinträchtigung ihrer Reputation hinnehmen.

Résumé: L’association de défense des animaux Verein gegen Tierfabriken (VgT) a remporté un nouveau succès devant la Cour européenne des droits de l’homme: la SSR est obligée de diffuser un spot publicitaire dénonçant le fait qu’elle passait systématiquement sous silence les campagnes de VgT. Les juges de Strasbourg ont estimé que le message contribuait au débat public; de nature idéale, et non commerciale, il doit pouvoir bénéficier de la plus large audience possible. En conséquence, la SSR doit tolérer une atteinte à sa réputation.

Annotations

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En 2013, l’association de défense des animaux Verein gegen Tierfabriken (VgT) avait remporté une éclatante victoire devant le Tribunal fédéral : la SSR se voyait imposer la diffusion d’un spot publicitaire dans lequel VgT la réprimandait vertement. Sous le titre polémique de «Ce que la télévision suisse passe sous silence» (Was das Schweizer Fernsehen totschweigt), ce message de quelques secondes dénonçait l’attitude discriminatoire de notre diffuseur national qui s’évertuait à ignorer systématiquement les campagnes de VgT. Estimant que le spot litigieux ternissait sa réputation, la SSR avait mis son veto à sa diffusion.

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En vain. Rappelant que la SSR est investie d’une mission de service public et bénéficie d’un financement public au moyen de la redevance de réception, les juges fédéraux étaient parvenu à la conclusion que son autonomie en matière publicitaire est plus réduite qu’un média privé, lequel peut, à sa guise, décliner ou accepter une publicité. A l’instar d’une autorité publique ou d’une entreprise publique, la SSR est tenue de respecter les droits fondamentaux des tiers, à commencer par leur liberté d’expression (art. 35 al. 2 Cst). Qui plus est, en l’espèce, la protection de sa réputation pesait moins lourd dans la balance des intérêts en présence que le droit de VgT d’informer la population sur ses actions et ses opinions. Dès lors, la SSR n’avait d’autre choix que de transmettre un message qui pourtant la blâmait (ATF 139 I 306).

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Six ans plus tard, ce jugement du Tribunal fédéral a été validé, à l’unanimité, par la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après CourEDH) ; et ce, au nom de la libre circulation des informations et de la promotion du débat public. Les juges de Strasbourg ont en effet été particulièrement sensibles au contenu idéal du spot litigieux, soulignant que celui-ci « échappe au contexte commercial normal dans lequel il s’agit d’inciter le public à acheter un produit particulier. Ce spot faisait en effet partie d’une campagne multi-médiale par le biais de laquelle l’association (VgT) cherchait à faire connaître son site web et les informations relatives à la protection des animaux qui y étaient publiées. Estimant que ces informations n’étaient pas relayées dans les programmes des autres médias, et en particulier dans ceux de la première requérante (la SSR), l’association cherchait aussi à attirer l’attention sur ce point.» (consid. 89).

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Quant à l’objection soulevée par la SSR de l’existence de multiples autres vecteurs de transmission du message litigieux (radios privées, réseaux sociaux), elle a été balayée en considération de la mission de service de public du diffuseur national : « au vu de sa position particulière dans le paysage médiatique suisse, la SSR est tenue d’accepter des avis critiques (les limites de la critique admissible la concernant étant comparables à celles qui s’appliquent aux personnalités politiques exposées) et de leur offrir un espace sur ses canaux de diffusion, même s’il s’agit d’informations ou d’idées qui heurtent, choquent ou inquiètent. » (consid 90).

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A première vue, la décision des juges de Strasbourg peut surprendre. Le jugement de 2013 du Tribunal fédéral avait en effet suscité des remous dans la doctrine (voir notamment le commentaire critique de Thomas Steiner in Medialex 2014, p. 29). En bref, deux reproches majeurs lui ont été faits. D’abord, le jugement faisait peu de cas de l’autonomie du diffuseur consacrée par l’art. 93 al. 2 de la Constitution fédérale (et réaffirmée à l’art. 6 LRTV) ; ensuite, il méconnaissait la nature exceptionnelle du droit à l’antenne, un droit dont la portée a été très restrictivement circonscrite par le législateur (cf. art. 94 al. 1 LRTV). D’aucuns s’attendaient donc à ce que la CourEDH, qui s’est toujours montrée intransigeante sur l’indépendance des médias, accueille favorablement le recours de la SSR.

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C’était oublier que, plus que par le passé, la CourEDH veille désormais à ne pas sanctionner la moindre incartade ; et ce, tout particulièrement lorsque que les recourants s’en prennent plus à une violation de la législation interne qu’à une violation de la Convention européenne des droits de l’homme proprement dite. Ce souci de déférence pour les instances nationales, les juges l’ont rappelé à l’entame de leur prononcé: « La fonction de décision confiée aux tribunaux nationaux sert précisément à dissiper les doutes qui pourraient subsister quant à l’interprétation des normes; le pouvoir de la Cour de contrôler le respect du droit interne est donc limité, puisqu’il incombe au premier chef aux autorités nationales, et singulièrement aux cours et tribunaux, d’interpréter et d’appliquer le droit interne. » (consid. 69). En d’autres termes, la CourEDH se borne à ne censurer que les décisions insoutenables ou celles qui entraînent des conséquences incompatibles avec la Convention européenne des droits de l’Homme.

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La SSR a fait les frais de cette grande retenue. Selon la CourEDH, il n’est en effet «ni arbitraire ni manifestement déraisonnable » de prétendre, comme l’a fait le Tribunal fédéral, que les activités financières du diffuseur, à commencer par la publicité, sont de nature étatique parce qu’elles servent à financer sa mission de service public (consid. 80). Maigre consolation pour la SSR, les juges de Strasbourg concèdent que le raisonnement du Tribunal fédéral n’est pas implacable, « d’autres solutions plus nuancées, voire un raisonnement contraire, seraient certes concevables » (consid. 77). Quant à l’argument de la position dominante de la SSR dans le paysage audiovisuel national, il n’est pas moins soutenable ; aux yeux de la CourEDH, il n’est pas aberrant d’imposer à un émetteur de large audience nationale des obligations de diffuser qui vont au-delà de celles qui pèsent sur les chaînes privées ou sur les fenêtres publicitaires des diffuseurs étrangers ; que l’obligation de retransmettre porte sur des opinions critiques à l’encontre de l’assujetti lui-même n’y change rien (consid. 90).

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De considérants aussi réservés, il n’y a guère de leçon générale à retirer. Dès lors, on ne s’attardera pas outre mesure sur ce troisième jugement européen dans l’interminable saga qui oppose VgT à la SSR. Sauf à souligner que la CourEDH, si elle estime depuis son arrêt de principe Casado Coca c./Espagne (24 février 1994, série A, no 285-A) que la liberté d’expression protège toute communication – peu importe qu’elle soit idéale ou commerciale -, ne s’interdit pas pour autant de faire des distinctions quant au degré de protection : plus la communication relève du débat d’intérêt général, plus le cercle des exceptions tolérables se réduit.

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