La mince frontière entre vie privée et droit à l’information

L

Aperçu de la jurisprudence fédérale, cantonale et internationale rendue durant l’année 2023 en matière de droit civil en lien avec les médias

Louis Wéry, MLaw, assistant et doctorant à la Chaire de droit civil I, Université de Fribourg
Jonas Dupraz, MLaw, assistant à la Chaire de droit civil I, Université de Fribourg

Zusammenfassung: Die Rechtsprechung im Berichtsjahr (November 2022 bis Ende 2023) hat Urteile in Sachen Persönlichkeitsschutz sowohl auf Bundes-, kantonaler als auch auf internationaler Ebene hervorgebracht, welche das Spannungsfeld zwischen Meinungsfreiheit und Schutz der Privatsphäre verdeutlichten. So hatte das Bundesgericht einen Fall zu entscheiden, in dem die Privatsphäre des Betroffenen trotz Anonymisierung erheblich verletzt wurde. Auf kantonaler Ebene ist ein Entscheid des Zürcher Handelsgerichts hervorzuheben, der betonte, dass Medien ihre Informationen vor deren Veröffentlichung besonders sorgfältig zu prüfen haben, wenn diese aus Drittquellen stammen. Auf internationaler Ebene hat sodann der Europäische Gerichtshof für Menschenrechte im Fall Axel Springer gegen Deutschland bestätigt, dass die Pressefreiheit zwar ein Grundrecht darstelle, das jedoch mit dem Schutz des persönlichen Rufs abgewogen werden müsse.

Résumé: L’année sous revue (de novembre 2022 à fin 2023) a apporté plusieurs décisions en matière de protection de la personnalité en lien avec les médias, tant au niveau fédéral, cantonal qu’international. Elles sont révélatrices des tensions existant entre la liberté d’expression et le respect de la vie privée. Le Tribunal fédéral s’est ainsi penché sur la publication d’un article qui portait gravement atteinte à la vie privée d’une personne bien que son nom ait été anonymisé. Sur le plan cantonal, une décision du Tribunal de commerce de Zurich a souligné l’importance, pour les médias, de vérifier les informations avant leur publication, en particulier celles provenant de sources tierces, rappelant ainsi que la divulgation d’informations erronées peut constituer un dénigrement déloyal. Au niveau international, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu plusieurs arrêts, comme l’affaire Axel Springer SE c. Allemagne, dans laquelle elle a réaffirmé que, bien que la liberté de la presse soit un droit fondamental, elle doit être équilibrée avec la protection de la réputation individuelle.

I. Introduction

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Les auteurs présentent et commentent un arrêt rendu par le Tribunal fédéral, quattre jugements cantonaux ainsi que trois arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH).

II. Arrêts fédéraux

1. Vie privée vs. liberté de la presse : l’affaire B. face au journaliste anonyme (TF 5A_98/2022 du 28 mars 2023)

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Dans une revue bimestrielle, un journaliste a publié un article qui relate l’histoire d’une jeune fille, désignée sous un nom fictif, suivie depuis sa naissance par les services sociaux. B., s’identifiant comme la personne évoquée dans l’article, intente une action en protection de la personnalité contre le journaliste, invoquant que la publication porte gravement atteinte à sa vie privée, malgré l’anonymisation.

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B. a requis des mesures provisionnelles pour interdire la publication de toute information relative à sa vie privée, même sous une forme anonymisée, mais reconnaissable, et a exigé la suppression des contenus en ligne ainsi que la destruction de tout document physique en lien avec l’article. Le tribunal de première instance a rejeté la demande, invoquant le fait qu’il n’y avait pas eu de tentative préalable de conciliation, qui est obligatoire pour ce type de procédure. Toutefois, à la suite d’un appel, le tribunal donne finalement raison à B., ordonnant la suppression des informations, en considérant que l’intérêt de protéger la personnalité du mineur surpassait l’intérêt public.

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Le journaliste conteste cette décision devant le Tribunal fédéral, invoquant la violation de plusieurs droits constitutionnels, notamment la liberté d’expression garantie par l’article 10 CEDH. Il remet également en cause l’ordre de destruction des documents relatifs à la vie privée de B., en invoquant la violation de l’article 29 Cst., alléguant que cette décision anticipait le fond de l’affaire de manière irréversible. Cependant, le Tribunal fédéral juge que ces arguments ne sont pas recevables, car ils ne remplissent pas les exigences de motivation plus stricte imposées par l’art. 106 al. 2 LTF. Le recourant soulève que les faits ont été établis de manière manifestement erronée par l’instance précédente. Il souhaite ainsi apporter une nouvelle version des faits devant le Tribunal fédéral. Selon ce dernier, le recourant n’a toutefois pas démontré en quoi l’établissement des faits par l’instance inférieure était arbitraire (art. 9 Cst.).

III. Arrêts cantonaux

2. Dénigrement déloyal : la presse zurichoise mise en cause pour diffusion d’informations erronées (Tribunal de commerce du canton de Zurich, arrêt du 13 juin 2023, HG200241-O U2)

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La société demanderesse X., active dans la restauration et propriétaire du restaurant J., ainsi que ses dirigeants et employés, ont intenté une action contre la défenderesse, éditrice du magazine « H. », à la suite d’un article évoquant des créances impayées, des relations d’affaires entre les demandeurs et l’ouverture tardive du restaurant. Les plaignants demandent la suppression de cet article qu’ils considèrent attentatoire à leur personnalité et diffamatoire au sens de la LCD.

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La défenderesse conteste ces accusations, affirmant que l’article ne porte pas atteinte à la personnalité des plaignants.

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Le tribunal relève que la presse, à l’ère numérique, touche des audiences plus vastes, rendant nécessaire une protection accrue des informations personnelles. De plus, il rappelle que les médias doivent vérifier les informations avant leur publication, y compris celles provenant de sources tierces. Il conclut que le contenu de l’article n’est pas conforme à la vérité et estime qu’il y a alors un dénigrement déloyal (art. 3 al. 1 let. a LCD).

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Le tribunal établit que les informations figurant dans l’article concernant les liens familiaux, les hobbies et la vie privée des plaignants étaient injustifiées, car elles n’étaient pas liées à leur activité commerciale. L’utilisation de la photo des entrepreneurs sans leur consentement porte également atteinte à leur personnalité, ces derniers n’étant pas des personnes de l’histoire contemporaine. Toutefois, une photo d’un bâtiment ne porte ni atteinte aux droits de la personnalité ni aux droits d’auteur des plaignants.

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L’arrêt opère une distinction entre les personnes de l’histoire contemporaine relative, pour lesquelles la divulgation d’informations privées n’est justifiée que temporairement en lien avec un événement particulier, et les personnes de l’histoire contemporaine absolue, pour lesquelles on peut affirmer qu’il existe un intérêt légitime à informer sur leur personne et leur participation globale à la vie publique.

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Le tribunal rappelle enfin que la suppression de l’article et son déréférencement de Google doivent être entrepris par la défenderesse, et non par Google.

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Commentaire : Cet arrêt réaffirme la jurisprudence fédérale (ATF 143 III 297, consid. 6.4.3 ; 136 III 410, consid. 2.3 ; ATF 127 III 481, consid. 2 et 3), à savoir que la nécessité pour les médias de limiter la divulgation des informations privées à ce qui est pertinent et justifié par un intérêt public, et rappelle que la vérification des sources est essentielle, y compris pour celles issues de tiers.

3. Atteinte à l’honneur ou simple information ? Les dettes commerciales sous le feu des projecteurs (Tribunal de commerce du canton de Zurich, arrêt du 13 juin 2023, HG200241-O)

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Plusieurs entreprises et individus (les demandeurs) intentent une action en protection de la personnalité contre une société de médias, la défenderesse, concernant un article publié en ligne et dans une version imprimée.

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Les demandeurs ont requis la suppression immédiate de l’article des plateformes électroniques de la défenderesse, ou à défaut, la modification de l’article pour supprimer les photos et noms d’entreprises mentionnés. Ils ont également exigé que la défenderesse demande à Google de supprimer les références à l’article dans ses résultats de recherche.

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Ils contestent tout d’abord les affirmations concernant les dettes de la société mentionnée dans l’article, notamment la mention de poursuites d’un montant total de 5,2 millions de francs, dont 2,7 millions de francs seraient encore non réglés. Ils soutiennent que ces informations sont incorrectes et ont un impact négatif sur leur réputation professionnelle, violant ainsi leur droit à l’honneur.

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L’article laissait ensuite entendre que ladite société avait délibérément utilisé la société S., une société en liquidation, pour éviter de payer ses dettes. Les demandeurs considèrent cela comme une insinuation fausse et diffamatoire qui ternit leur image professionnelle.

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Les demandeurs, notamment les personnes physiques impliquées, ont fait en outre valoir que l’article contenait des informations personnelles non pertinentes, telles que des détails sur leurs loisirs et leurs relations familiales, ce qui, selon eux, avait pour but de les dénigrer et de renforcer des stéréotypes négatifs, violant ainsi leur vie privée et leur droit à l’honneur.

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Le tribunal a constaté que l’article contenait effectivement des inexactitudes, notamment la mention erronée de 5,2 millions de francs de dettes alors que le montant réel des poursuites au moment de la publication de l’article était d’environ 2 millions de francs. Le tribunal a également souligné que les médias ont une responsabilité de vérifier les informations qu’ils publient, et que ces inexactitudes, en raison de leur nature et de leur impact potentiel sur la réputation de la société, constituaient une violation des droits de la personnalité des demandeurs.

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L’affirmation selon laquelle la société S. était simplement une société intermédiaire utilisée de manière abusive par les demandeurs était également fausse et, par conséquent, nuisible à leur réputation. En effet, le tribunal a retenu que les demandeurs avaient effectivement des relations commerciales avec la société S., mais sans but de se soustraire à leurs obligations financières via cette société en liquidation.

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Le tribunal a finalement reconnu que certaines informations publiées dans l’article, telles que les détails sur les loisirs des demandeurs ou leurs relations familiales, ne pouvaient être considérées comme un intérêt prépondérant à l’information du public. Au contraire, le tribunal a considéré que ces éléments avaient été inclus de manière à les dénigrer et constituaient donc une violation de leur vie privée.

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Commentaire : Cet arrêt s’aligne avec la jurisprudence du Tribunal fédéral, qui exige des médias une grande diligence dans la vérification des informations diffusées, surtout lorsqu’il s’agit de données susceptibles de nuire à la réputation d’une entreprise. En condamnant les pratiques de la défenderesse, le tribunal réaffirme les principes de protection de la personnalité, en soulignant l’importance de l’exactitude des informations publiées et le devoir des médias de ne pas diffuser des informations fausses ou trompeuses.

4. La notoriété d’un entrepreneur en question : quand le droit à la vie privée l’emporte sur la presse (Cour de justice du canton de Genève, arrêt du 30 novembre 2022, ACJC/1607/2022)

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La décision de la Cour de Justice concerne une demande de mesures provisionnelles déposée par un entrepreneur genevois pour interdire la publication de son nom, sa photo, ou toute autre information permettant son identification dans des articles liés à une affaire pénale en cours. Le Tribunal de première instance a rejeté cette demande, estimant que le requérant n’avait pas rendu vraisemblable que la publication lui causerait un préjudice difficilement réparable.

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L’entrepreneur fait appel de cette décision, alléguant premièrement que sa seule notoriété lui vient de son patronyme et qu’il n’apparaît que très rarement et de manière irrégulière dans les médias, niant ainsi incarner une personnalité publique. Dans une lettre adressée à son conseil, il a secondement estimé subir un dommage de 620’000 fr. compte tenu de la nécessité de changer de cocontractant à la suite de la publication des différents articles.

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Selon l’article 28 CC, une personne peut demander la protection de ses droits en cas d’atteinte illicite à sa personnalité, à moins que cette atteinte ne soit justifiée par le consentement, un intérêt privé ou public prépondérant, ou par la loi. La mission d’information de la presse n’est pas un motif absolu de justification. Chaque cas nécessite une évaluation entre l’intérêt public à l’information et la protection de la personnalité. En principe, la diffusion de faits vrais est permise, à moins qu’ils relèvent de la sphère privée ou soient inutilement blessants. Les faits ayant un lien avec les activités publiques de la personne peuvent justifier une diffusion, mais cette règle doit être appliquée avec soin, surtout si les accusations ne sont pas confirmées par la suite.

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En ce qui concerne le cas jugé, l’appelant a tenté de démontrer qu’il ne jouissait pas d’une notoriété absolue ou relative. Cependant, le tribunal a constaté qu’il avait déjà fait l’objet d’une couverture médiatique significative avant même l’affaire pour laquelle il était jugé, justifiant ainsi sa notoriété. Bien qu’il ne soit pas une figure de proue dans l’affaire en question, sa participation a renforcé cette notoriété. Le tribunal a également conclu que la publication d’un nouvel article ne porterait pas atteinte de manière manifeste à sa personnalité ni ne lui causerait de préjudice particulièrement grave – la lettre adressée à son conseil n’étant que l’allégation d’un événement futur incertain.

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Commentaire : L’arrêt de la Cour de Justice s’aligne avec la jurisprudence du Tribunal fédéral en lien avec l’article 266 CPC, qui se doit d’être appliqué de manière stricte et exigeant que l’octroi de mesures provisionnelles soit soumis à des conditions rigoureuses. Notamment, une atteinte illicite à la personnalité doit être “manifestement injustifiée” et causer un “préjudice particulièrement grave”. Dans des affaires comme l’ATF 129 III 529, le Tribunal fédéral a exigé que l’urgence de la situation et la gravité du préjudice soient prouvées de manière claire avant d’accorder des mesures provisionnelles.

5. Critiques légitimes ou diffamations : la réputation d’un expert juridique en jeu (Court suprême zurichoise, arrêt du 8 novembre 2022, LB220010-O/U)

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La décision judiciaire concerne un litige entre un universitaire suisse (le demandeur) et une société (la défenderesse) au sujet d’une allégation d’atteinte à la personnalité, liée à des articles de presse publiés en 2018. Le demandeur, un expert juridique de renom affirme que les articles, publiés par la société défenderesse, ont faussement suggéré qu’il avait rédigé un avis de droit biaisé pour justifier une transaction douteuse.

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Le tribunal de première instance a rejeté la demande, concluant que les articles n’étaient pas attentatoires à son honneur, dès lors qu’ils étaient licites en vertu de l’intérêt public au droit à l’information. Le demandeur a fait appel de cette décision, soutenant que les articles avaient nui à sa réputation professionnelle en affirmant qu’il était partial et que son travail était sans valeur.

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La Cour a considéré que les articles en question, bien que critiques envers le demandeur, devaient être évalués dans leur contexte global. Elle a estimé que le lecteur moyen des publications litigieuses est instruit et averti en matière de sujets économiques et juridiques et, en conséquence, il n’a pas nécessairement perçu les articles comme dégradants. Le tribunal a retenu que ces lecteurs ont dû être capables de comprendre que les affirmations contenues dans les articles relevaient de l’opinion et de la critique, et non de déclarations de faits établis.

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Un autre point clé de la décision est que l’affaire dans laquelle le demandeur était impliqué avait un intérêt public considérable. La transaction critiquée dans les articles faisait l’objet d’une large investigation médiatique en raison de sa nature controversée. La Cour a estimé que la discussion autour de cette transaction, y compris l’avis de droit du demandeur, était légitime et d’intérêt public. Cela justifiait une analyse et une critique approfondies, dont le questionnement de l’intégrité du demandeur.

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La Cour a également abordé la question de la qualité de l’avis de droit fourni par le demandeur. Même si cet avis était critiqué dans les articles, la Cour a jugé que cela faisait partie d’une évaluation critique acceptable, particulièrement parce que l’avis avait été commandé dans un contexte de conflit d’intérêts apparent, ce qui légitimait les interrogations sur son impartialité.

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Enfin, la Cour a conclu que les articles ne contenaient pas de déclarations factuelles manifestement fausses ou diffamatoires. Les termes utilisés, tels que “partial” ou “sans valeur,” ont été interprétés comme des jugements de valeur, plutôt que des accusations factuelles directes. Cela signifie que les critiques formulées n’ont pas été jugées comme dépassant les limites de la liberté d’expression.

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Ainsi, la Cour a rejeté l’appel et confirmé la décision de première instance en retenant que la critique de l’expertise du demandeur, même si elle pouvait sembler sévère, s’était inscrite dans le cadre de la liberté d’expression sans en excéder les limites. En outre, les juges ont rappelé que les médias jouent un rôle essentiel dans le débat public, et que leur capacité à critiquer des personnalités publiques, notamment dans des affaires d’intérêt général, doit être préservée.

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Commentaire : Cette décision s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence du Tribunal fédéral concernant la protection de la personnalité et la liberté de la presse. En particulier, le Tribunal rappelle que la mission d’information des médias ne constitue pas un motif absolu de justification en cas d’atteinte à la personnalité (art. 28 CC). La Cour a correctement appliqué le principe de la pesée des intérêts, tel qu’établi par le Tribunal fédéral dans des décisions antérieures, en cherchant un équilibre entre la liberté d’informer et la protection de la réputation de l’individu concerné. En rejetant les arguments du demandeur qui invoquait une atteinte illicite à sa personnalité, la Cour a rappelé que les personnalités publiques doivent accepter une plus grande intrusion médiatique, en ligne avec la jurisprudence fédérale, notamment les arrêts ATF 138 III 641 et ATF 132 III 641, qui exigent que toute diffusion d’informations reste proportionnée à l’intérêt public. Le tribunal a également insisté sur la précision des faits rapportés, critère essentiel pour juger de la légitimité d’une atteinte à la réputation dans le cadre de l’information publique.

IV. Arrêts de la CourEDH

6. Autorité policière sous surveillance : quand la liberté de la presse heurte la vie privée des agents (Arrêt du 31 octobre 2023, Bild GmbH & Co. KG c. Allemagne, requête n° 9602/18)

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Le cas concerne la société Bild GmbH & Co. KG, qui a été interdite par les tribunaux allemands de publier des images non floutées de vidéosurveillance montrant une arrestation policière. La société de médias a contesté cette interdiction en se fondant sur l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège la liberté d’expression.

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Les tribunaux allemands ont jugé que la publication des images non floutées violait les droits à la personnalité du policier concerné. Bien que les tribunaux aient reconnu que la vidéo montrait un aspect de la société contemporaine et que l’usage de la force par les agents de l’État est un sujet d’intérêt public, ils ont considéré que les droits du policier à la protection de sa vie privée l’emportaient sur la liberté de la presse, surtout en l’absence d’allégations de mauvaise conduite de sa part. La décision des tribunaux allemands concernait à la fois deux publications déjà diffusées, ainsi que toute future publication de ces images non modifiées.

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La première vidéo, accompagnée d’une voix-off décrivant l’intervention policière comme violente, a été jugée comme portant atteinte aux droits de la personnalité de l’officier. La Cour a souligné que l’agent n’avait pas cherché l’attention publique et que l’intérêt principal résidait dans les actions de la police en tant qu’institution, plutôt que dans celles de l’officier en tant qu’individu. La présentation éditoriale, jugée exagérément négative, avait renforcé l’atteinte à la réputation de l’agent.

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La deuxième publication incluait une version plus complète de la vidéo, montrant le comportement agressif de la personne arrêtée avant l’intervention policière. La Cour a constaté que cette publication présentait un contexte plus équilibré, et que l’injonction de cesser sa diffusion, sans floutage, n’avait pas été correctement justifiée par les tribunaux allemands car ces derniers n’avaient pas effectué une évaluation adéquate du contexte dans lequel la vidéo était diffusée.

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La seconde vidée fournissait en effet un cadre plus équilibré, montrant non seulement l’intervention policière, mais aussi le comportement agressif de la personne arrêtée, ce qui permettait de mieux comprendre les circonstances de l’arrestation. En ne tenant pas compte de cet aspect, les tribunaux allemands ont manqué de contextualiser la situation. De plus, La Cour a estimé que les tribunaux nationaux n’avaient pas suffisamment pesé l’intérêt public à l’information concernant l’intervention policière contre le droit à la protection de la vie privée de l’agent. L’interdiction imposée par les tribunaux se basait sur la protection de la personnalité de l’agent, sans évaluer de manière appropriée si l’intérêt public à connaître les faits justifiait la publication. Finalement, la Cour a jugé que les tribunaux allemands n’avaient pas correctement examiné l’importance de la liberté d’expression, en particulier en ce qui concerne la couverture d’une intervention policière, qui relève d’un débat d’intérêt général. La décision d’interdire la deuxième publication a ainsi été perçue comme une atteinte excessive à la liberté d’expression, sans justification suffisante.

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S’agissant de l’interdiction de toute publication future d’images non floutées, la Cour a estimé que cette injonction, en dépit de l’intérêt public évident pour les interventions policières, pourrait avoir un effet dissuasif (“chilling effect”) sur la liberté de la presse. Les médias pourraient être réticents à couvrir des événements importants liés à des interventions policières par crainte de poursuites judiciaires, même si ces événements relèvent d’un débat d’intérêt public légitime. De surcroît, la mesure a été jugée excessive et disproportionnée. La Cour a relevé qu’une telle interdiction générale ne tenait pas compte de la possibilité que de futures publications puissent être présentées d’une manière respectueuse des droits à la vie privée des agents concernés, tout en répondant à un intérêt public légitime. En bloquant toutes les futures publications, les tribunaux allemands ont imposé une restriction non justifiée de la liberté de la presse, sans considérer les circonstances particulières de chaque publication future.

7. Critiques diffamatoires ou légitimes ? (Arrêt du 27 avril 2023, Abbasaliyeva c. Azerbaïdjan, requête n° 6950/13)

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Mme Shahla Abbasaliyeva, une citoyenne azerbaïdjanaise, a été nommée en 2011 médecin-chef dans un hôpital de district à Gazakh, en Azerbaïdjan. Peu après sa nomination, plusieurs articles ont été publiés dans un journal local, critiquant son nom et la liant à son frère, un ancien membre des forces spéciales OMON, condamné pour avoir participé à une tentative de coup d’État en 1995. Les articles ont questionné sa nomination, insinuant qu’elle n’était pas qualifiée pour ce poste en raison des actions de son frère.

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Mme Abbasaliyeva a intenté une action en justice contre le journal pour diffamation, demandant une rétractation et des excuses, ainsi que des dommages-intérêts. Les tribunaux nationaux ont rejeté sa demande, affirmant que les articles constituaient des jugements de valeur protégés par la liberté d’expression.

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La Cour a noté que, dans le cadre de l’article 8 de la Convention, la protection de la vie privée inclut la protection de la réputation d’une personne. Il est donc possible de considérer que des atteintes graves à la réputation peuvent constituer une violation de cet article, surtout si elles n’ont pas été suffisamment justifiées par un intérêt public légitime.

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Les articles de presse en question ne mettaient pas en cause les qualifications professionnelles de Mme Abbasaliyeva ou son aptitude à occuper le poste de médecin-chef, mais se concentraient principalement sur le passé de son frère. En d’autres termes, la critique n’était pas liée directement à son travail ou à des questions d’intérêt public, mais plutôt à sa situation familiale, ce qui ne justifiait pas une atteinte aussi grave à sa réputation.

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La Cour a donc estimé que les autorités nationales avaient échoué à correctement peser les droits de Mme Abbasaliyeva contre l’intérêt de la presse à rapporter les faits. En conséquence, elle a conclu à une violation de l’article 8 de la Convention et condamné l’État azerbaïdjanais à verser 4’500 euros à la requérante pour préjudice moral, en reconnaissance de l’atteinte à sa réputation causée par les publications.

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Commentaire: La décision met en évidence que, même lorsque la liberté de la presse est invoquée, les tribunaux doivent examiner attentivement si les propos en cause sont justifiés par un intérêt public et s’ils respectent le droit à la réputation des personnes, en particulier lorsqu’il s’agit de critiques fondées sur des éléments personnels ou familiaux sans rapport direct avec leur travail.

8. Rectification obligatoire : l’affaire K. vs. Die Welt (Arrêt du 11 janvier 2023, Axel Springer SE c. Allemagne, requête n° 8964/18)

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Axel Springer SE, une maison d’édition allemande, a été condamnée par les tribunaux allemands à publier une rectification à la suite d’un article publié dans le journal Die Welt. Cet article accusait une responsable politique, désignée comme Mme K., d’avoir été impliquée dans la gestion et la dissimulation des actifs de l’ancien parti communiste de la République démocratique allemande (RDA), après la chute du régime communiste en 1989.

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La responsable politique a demandé à Axel Springer SE de publier une rectification pour corriger ce qu’elle considérait comme des informations factuellement incorrectes et nuisibles à sa réputation. Lorsque la société a refusé, elle a porté l’affaire devant les tribunaux allemands.

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La Cour d’appel de Berlin a jugé que l’article, bien qu’il n’affirmait pas directement que Mme K. avait dissimulé des actifs, laissait entendre qu’elle était impliquée dans ces activités. En conséquence, ils ont ordonné à Axel Springer SE de publier une rectification. La maison d’édition a, par conséquent, saisi la Cour européenne des droits de l’homme, arguant que l’obligation de publier une rectification violait sa liberté d’expression garantie par l’article 10 de la Convention.

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La Cour a reconnu qu’il y avait eu une ingérence avec la liberté d’expression d’Axel Springer SE, mais a jugé qu’elle était justifiée et proportionnée. Il a d’abord été reconnu que l’ingérence était prescrite par la loi, notamment par l’art. 10 de la loi sur la presse de Berlin (Berliner Pressegesetz), obligeant les éditeurs à publier une rectification lorsqu’une personne est affectée par une allégation factuelle incorrecte publiée dans la presse.

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La mesure poursuivait un objectif légitime, à savoir la protection de la réputation de Mme K., conformément à l’article 10 § 2 de la Convention qui permet des restrictions à la liberté d’expression pour protéger notamment la réputation d’autrui. La Cour a en outre rappelé que pour qu’une restriction soit “nécessaire dans une société démocratique”, elle doit répondre à un besoin social impérieux et être proportionnée à l’objectif poursuivi. Dans ce cas, elle a estimé que la rectification demandée répondait à une telle nécessité, car l’article de presse en question exposait indirectement que K. avait été impliquée dans la disparition d’actifs du parti après 1989, bien que cette implication ne soit pas explicitement affirmée. La Cour a enfin jugé que la rectification ordonnée par les juridictions nationales était proportionnée. K. avait un intérêt légitime à voir rectifier certains faits inexacts publiés à son sujet. De plus, la longueur et le contenu de la rectification étaient limités à ce qui était nécessaire pour corriger les informations erronées contenues dans l’article.

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La décision retient finalement que les juridictions allemandes avaient correctement appliqué les principes de la jurisprudence de la CourEDH concernant l’équilibre entre la protection de la réputation d’une personne et la liberté d’expression de la presse.


Les auteurs tiennent à remercier Carlos Gonzalez Villaverde, sous-assistant à la Chaire de droit civil I de l’Université de Fribourg, pour sa précieuse collaboration.

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