Élargir la protection des droits de la personnalité du défunt?

É

Décision du 9 juillet 2020 Verwaltungsgericht des Kantons Zürich VB.2020.00026

Margareta Baddeley, professeure honoraire en droit civil, Université de Genève
Marie-Laure Papaux van Delden, professeure ordinaire en droit civil, Université de Genève

Zusammenfassung: Der Journalistin und Autorin Binswanger verweigerten die zuständigen Zürcher Behörden die Einsicht in die Akten betreffend den abgeurteilten – und 2015 verstorbenen – Mörder Günther Tschanun hauptsächlich auf Basis von dessen Geheimhaltungsinteresse nach Verbüssung seiner Zuchthausstrafe und der Annahme eines neuen Namens. Das Verwaltungsgericht Zürich weist die Sache an den Justizvollzug zurück und legt in seinem Urteil detailliert dar, dass bei Auskunftsbegehren über verstorbene Personen eine Interessenabwägung stattzufinden hat, die die Interessen der Angehörigen und die der Öffentlichkeit an Transparenz und Kontrolle des staatlichen Handelns einbeziehen muss. Es erwägt auch eine Ausweitung des direkten Persönlichkeitsschutzes Verstorbener, verwirft diese aber im vorliegenden Fall.

Résumé: La demande de la journaliste et auteure Binswanger d’accéder aux actes concernant Günther Tschanun, qui avait purgé sa peine de prison pour meurtre et adopté un nouveau nom après sa libération, a été rejetée par les autorités zurichoises principalement sur la base de l’intérêt du concerné à préserver le secret sur sa vie privée. Le Tribunal cantonal de Zurich renvoie l’affaire à l’autorité d’exécution des peines pour une pesée des intérêts, car la demande concerne une personne décédée. Les intérêts des proches, ainsi que celui du public à la transparence et au contrôle de l’action des organes publics auraient dû être pris en considération. Le tribunal discute également, mais ne l’admet finalement pas dans ce cas, une protection élargie des droits de la personnalité du défunt.

I. Faits / procédure 

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Le 16 avril 1986, Günther Tschanun (ci-après GT), architecte et directeur de l’Office de la police des constructions de Zurich, a tué quatre de ses collaborateurs et blessé grièvement un cinquième. Condamné pour meurtre et tentative de meurtre à la réclusion pour 20 ans, il a été libéré sous condition après 14 ans, en 2000. Installé par la suite au Tessin sous un nouveau nom, il est décédé accidentellement le 25 février 2015.

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La journaliste et auteure Michèle Binswanger (ci-après MB) demandait aux autorités administratives et judiciaires zurichoises un accès au moins restreint aux documents officiels sur l’exécution des peines de GT et sur son parcours professionnel et personnel après sa libération (en particulier les circonstances de son changement de nom), ainsi que des informations sur les circonstances de son décès près de cinq ans avant le dépôt de la requête par MB auprès de la première instance administrative, en 2019. À la suite des décisions négatives des instances inférieures (Justizvollzug und Wiedereingliederung et, au titre d’organe de recours, Direktion der Justiz und des Inneren), MB recourt devant le Tribunal administratif de Zurich (ci-après TA-ZH). Dans son arrêt du 9.7.2020, le TA-ZH déclare la pesée des intérêts effectuée par les instances administratives insuffisante et renvoie l’affaire à l’instance inférieure pour une meilleure détermination des intérêts en jeu et leur pesée.

II. Décision du Tribunal administratif de Zurich (TA-ZH) – résumé des considérants et remarques

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La décision traite des questions de procédure (1) et précise les conditions matérielles de l’accès aux documents officiels dans le canton de Zurich (2). Elle donne un contenu plus large au droit d’accès à des informations personnelles comme aux moyens de s’en défendre que le faisaient les décisions inférieures attaquées.

1. Aspects de procédure

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Le TA-ZH affirmant d’emblée, au considérant 2, que l’accès aux documents officiels, garanti par l’art. 17 de la Constitution du canton de Zurich, se base dans cette décision principalement sur la Loi sur l’information et la protection des données (Gesetz über die Information und den Datenschutz 2007 ; citée LIPD[1]). Une requête d’accès doit, en principe, être traitée dans sa globalité par l’autorité qui est entrée en matière, même si d’autres autorités sont intervenues dans le traitement du cas en cause, telle que l’autorité qui a permis à GT d’adopter une nouvelle identité. Le requérant ne doit pas être contraint à chercher des morceaux d’information auprès de différentes autorités. Dans le cas d’espèce, l’autorité d’exécution des peines disposait des informations au sujet du changement du nom de GT et l’origine de cette information n’est pas pertinente s’agissant de l’autorité qui détient cette information et qui est saisie de la demande d’accès (considérant 4.1.1). En toute hypothèse, si une demande d’accès concerne des informations émanant de plusieurs organes, ceux-ci doivent se concerter sur le traitement et l’évaluation de la requête, et il incombe finalement à l’autorité requise de transmettre la décision au requérant (considérants 4.1, 6.3 et 6.4). Selon l’art. 9 de l’Ordonnance sur l’information et la protection des données 2008 (OIPD)[2], cette dernière doit traiter la demande, à moins qu’un autre organe ait été déclaré compétent ou que la demande d’accès concerne manifestement des informations détenues par un autre organe, auquel la requête pourra le cas échant être transmise (voir aussi cons. 4.2). Cette manière de traiter la compétence des autorités impliquées permet à l’ayant droit de recevoir les informations le plus efficacement et exhaustivement possible ; s’il fallait soumettre des requêtes séparées, certaines ne pourraient même pas être faites, le requérant n’ayant pas toujours toutes les informations pertinentes.

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Toutefois, des compétences spéciales, telles celles des autorités d’archivage, sont réservées. En effet, la loi sur l’archivage (Archivgesetz 1995), en tant que lex specialis, régit l’accès aux dossiers archivés. Le TA-ZH constate que les documents concernant l’exécution des peines par GT pendant les années 1988 à 1990 sont archivés et ne relèvent plus de l’autorité requise, qui par définition ne les détient plus. Celle-ci ne devait donc pas se prononcer sur les informations demandées pour ces années par MB. Son prononcé est annulé par le TA-ZH sans transfert de la demande à l’autorité d’archivage. De telles demandes n’étant pas soumises à des délais, MB pourra encore soumettre sa requête directement. Ce développement du TA-ZH, au considérant 4.2, est complété par celui du considérant 5.5., traité ci-dessous.

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Le considérant 5.5 apporte des précisions au sujet des délais d’accès et de blocage à l’égard de demandes d’informations qui peuvent être réglés différemment dans deux ou plusieurs lois applicables. Trois lois sont discutées, dont la loi sur l’archivage. Tout en précisant d’emblée au deuxième alinéa du considérant que la loi sur l’archivage ne s’applique pas in casu, « faute d’archivage » des informations requises, le TA-ZH procède en incluant cette loi dans son analyse. Cela surprend donc et il faut se demander s’il s’agit d’un obiter dictum en prévision d’une situation future dans la même affaire, lorsque MB aura éventuellement soumis une demande d’accès aux informations archivées, p.ex. pour les années 1988-1990. Dans cette perspective, l’intérêt des développements du TA-ZH est évident.

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La première des trois lois applicables est la LIPD qui ne prévoit pas de délai de blocage pendant lequel des informations ne peuvent pas être transmises par l’autorité. La loi sur l’archivage renvoie au concept de base de la LIPD, mais impose en même temps un délai de 10 ans dès le décès d’une personne, pendant lequel les informations archivées ne doivent en principe pas être divulguées ; ce délai s’applique également aux proches (§ 10 s.). Cette loi est donc plus restrictive, exigeant des intérêts particulièrement dignes de protection pour accorder l’accès avant l’expiration de la période de protection. Il en découle, comme l’explique le TA-ZH (considérant 5.5), une présomption de besoin de protection particulière des informations archivées récentes («eine Art Vermutung der Schutzbedürftigkeit dieser Informationen»). La troisième loi évoquée par le TA-ZH est la loi sur l’exécution des peines et de la justice (Straf-und Justizvollzugsgesetz 2006) prévoit un délai de conservation des dossiers de 15 années.

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Pour le TA-ZH, cette dernière loi n’entre pas en considération pour décider de la requête de MB, car son but n’est pas la protection de quelconques intérêts au secret (« Geheim­haltungsinteressen »), mais de permettre à l’autorité de disposer de documents officiels pendant la période de conservation. L’accès aux informations de privés à ces documents relève de la seule LIPD. Un conflit des délais prévus dans ces deux lois est, de ce fait, impossible. Il en va autrement à l’égard d’informations soumises initialement à la LIPD, mais archivées ensuite et donc soumises au délai de blocage au moment de la demande d’accès. Si les informations concernées avaient été publiées avant leur archivage, elles le restaient en règle générale, publiques («Informationen, die einmal öffentlich gemacht wurden, dies in der Regel auch bleiben»). Cela peut, selon le TA-ZH mener à des «résultats choquants». Dans ce cas, le tribunal, s’appuyant aussi sur une Directive du gouvernement cantonal du 19 septembre 2012, préconise une interprétation « harmonisante » («harmonisierende Auslegung») des deux lois dans le sens de la loi sur l’archivage, donc dans un sens restrictif, mais sans vider la LIPD de son sens. Cette manière est justifiée, pour les juges, par la protection de la confiance créée auprès de la personne concernée par le délai de blocage et pourrait donc, dans la pesée des intérêts à effectuer par l’autorité en vertu du § 23 LIPD, contrebalancer les intérêts invoqués à l’accès aux informations requises.

9

Ces considérations sont complétées par des développements sur le devoir d’investigation et d’examen de l’autorité requise, laquelle, en sa qualité d’autorité administrative, examine d’office les faits (considérant 6.1). L’autorité doit procéder à une pesée de l’ensemble des intérêts en présence, ce qui implique le devoir d’établir les faits pertinents et de les examiner. Certes, comme le prescrivent en général les réglementations de procédure administrative, le requérant doit collaborer à l’établissement des faits, mais ses connaissances et moyens pour le faire peuvent être inférieurs à ceux de l’autorité. Il incombe donc à celle-ci de compléter les informations fournies par le requérant afin d’établir l’état des faits pertinent («den relevanten Sachverhalt abklären»). Le TA-ZH constate que MB avait pu démontrer de manière étayée la vraisemblance du décès de GT et que le dossier de l’autorité contenait de toute manière toutes les informations pertinentes y relatives. L’autorité requise, qui avait répondu à la requête ne pas avoir d’informations au sujet de l’éventuel décès de GT, avait ainsi établi l’état des faits de manière insuffisante («den Sachverhalt ungenügend festgestellt»), ce qui constitue une erreur de droit («Rechtsfehler») (considérant 6.1).

2. L’examen au fond

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La décision des autorités inférieures donne également lieu à des critiques fondamentales du TA-ZH, aux considérants 2 et 5, en raison du fait que la ou les personnes protégées dans leurs intérêts n’avaient pas été entendues et que l’évaluation de la requête n’avait pas respecté les exigences légales.

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La première étape de l’examen d’une demande d’accès est commune à toutes les demandes d’accès (considérants 2.1 et 2.2) :

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Un droit constitutionnel («ein verfassungmässiges Individualrecht») à l’information sur les documents officiels appartient à tout sujet de droit ; il découle du principe de publicité et de transparence des actions des autorités publiques ancré dans la constitution cantonale zurichoise et la LIPD. La loi réserve toutefois aussi les cas où un intérêt prépondérant public ou privé justifie un refus ou un report complet ou partiel de l’accès à l’information. Pour respecter ces principes, l’autorité requise d’un droit d’accès doit procéder par une évaluation en plusieurs étapes. Dans un premier temps, elle doit effectuer une pesée préalable des intérêts («vorläufige Interessenabwägung») afin de déterminer si l’accès requis peut être envisagé. Une réponse négative entraîne le rejet de la requête. En cas de détermination positive, la suite de la procédure et, partant, la décision définitive dépendent de la nature des informations demandées.

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La requête tendant à l’accès à des données personnelles sensibles (« besondere Personendaten ») au sens du § 26 al. 2 LIPD (en lien avec le § 3, let. a al. 4), comme cela est le cas dans l’affaire soumise au TA-ZH, ne peut être admise par l’autorité, dans un deuxième temps, que si la personne visée y consent. Dans la négative, la requête doit être rejetée par l’autorité requise. En d’autres termes, la loi contient une présomption irréfragable de l’intérêt supérieur de la personne concernée (considérant 2.3).

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Cette question ne se posait cependant pas à l’égard de la requête de MB, car GT était décédé depuis près de cinq ans au moment du dépôt de la requête et ne pouvait donc plus donner son consentement. Au considérant 5, le TA-ZH précise la situation juridique dans de tels cas, notamment quant à la pesée des intérêts en cause que l’autorité est obligée d’opérer. La protection des intérêts légitimes de la personne décédée se fait de deux manières : directement et indirectement par le biais des intérêts invocables par ses proches.

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La protection directe des intérêts du défunt est très réduite, car la personnalité juridique s’éteint avec le décès (art. 31 al. 1 CC) et avec elle les droits qui s’y attachent. La personne décédée est encore protégée dans certains de ses droits au sujet desquels elle a pris des dispositions de son vivant, en particulier aux sujets du secret médical ou de l’avocat et des mesures à prendre après son décès à l’égard de sa dépouille et des funérailles. Mais les droits et intérêts du défunt peuvent continuer à être protégés plus largement dans le cadre des  actions de ses proches. Ceux-ci peuvent invoquer leur propre droit de la personnalité, p.ex. pour protéger la réputation du défunt et par là même leur souvenir de celui-ci («Andenkensschutz») ; il en résulte une protection des vœux et dispositions du défunt plus large que ce qu’il a pu prévoir de son vivant par ses moyens directs (considérant 5.3).

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Le TA-ZH discute à cet égard la possibilité d’accorder une protection des droits du défunt plus large encore d’avantage. Ce dernier n’ayant plus la légitimation active, l’autorité appelée à faire la pesée des intérêts, pourrait inclure dans celle-ci l’expression, du vivant du défunt, d’un droit à l’autodétermination («ein zu Lebzeiten geäussertes Selbstbestimmungsrecht»). Cela pourrait se faire dans les cas où le droit applicable confère une protection allant au-delà de celle conférée par l’art. 28 CC et l’art. 13 de la Constitution fédérale, comme c’est le cas dans l’ATF 127 I 145, cons. 5.cc., appliquant les règles sur l’archivage. Si le Tribunal fédéral a reconnu, dans cette décision, qu’il n’est pas arbitraire de donner à la protection de la personnalité en droit public un effet protecteur plus étendu qu’en droit civil, il s’agit d’une protection dérivée du droit à l’autodétermination du défunt exercé de son vivant qui résulterait en un élargissement de la protection directe des droits du défunt. Toutefois que celui-ci ait pu exercer son droit à l’autodétermination quant au traitement de ses données, en particulier sensibles, de son vivant n’est pas encore admis clairement. Ne considérant de toute évidence pas que la LIPD accorde une telle protection élargie, le TA-ZH s’en tient, dans sa décision, à la jurisprudence restrictive en matière de protection des droits de personnes décédées.

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Le TA-ZH poursuit néanmoins son raisonnement en faveur d’une protection élargie des personnes décédées au considérant 5.4. : pour accéder aux informations souhaitées, le requérant doit, selon OIPD démontrer son intérêt relatif aux informations demandées et la prépondérance de cet intérêt par rapport à ceux des proches ou de tiers. Ces exigences expriment, de l’avis du tribunal, le souci du législateur de respecter la personnalité et la dignité de la personne au-delà de son décès.

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L’autorité doit établir les intérêts pertinents et procéder à leur pesée avant de prendre sa décision quant à la demande d’accès (voir ci-dessus 1., aspects de procédure).

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Les intérêts invoqués par la requérante, énumérés au considérant 3.2, étaient les suivants : l’intérêt public général à l’information sur des faits à large retentissement public, l’affaire en cause étant l’une des plus importantes de l’histoire pénale récente de la Suisse ; l’intérêt du public de connaître des détails sur un criminel qui, malgré la commission d’infractions pénales extrêmement graves, ne présentait pas de danger de récidive ; l’intérêt des proches des victimes de connaître la situation de GT et, enfin, le fait que les droits de GT de préserver le secret sur sa vie privée n’existait plus depuis son décès. La mission d’information de la presse n’est pas mentionnée, alors qu’elle semblerait primordiale dans une demande d’accès provenant d’une journaliste. Le TA-ZH ne discute pas spécifiquement les mérites de l’argumentation de MB, car il considère que les autorités inférieures n’ont pas procédé à l’établissement de tous les faits pertinents, dont notamment la position des proches, et que la pesée des intérêts ne peut pas, en l’état, être faite (cf. ci-dessus, aspects de procédure).

20

Le TA-ZH revient toutefois dans ses développements, au considérant 5.4, sur les intérêts et droits hypothétiques à prendre en compte. Il inclut dans ces derniers les intérêts personnels des parties et les intérêts publics invoqués par ceux-ci, comme l’intérêt général dans la transparence et le contrôle de l’action des autorités. Ce dernier intérêt est plutôt en faveur d’un accès à l’information, alors que l’intérêt propre du défunt à la protection de sa confiance en la préservation de ses secrets par l’autorité («Schutz von Vertrauenserwartungen») justifierait éventuellement un refus de l’accès demandé. Il est intéressant de noter que, par ce biais, les intérêts de la personne décédée sont pris en compte dans la pesée des intérêts en présence ; dans ce sens, la protection instaurée par le droit public va au-delà de la protection découlant de l’art. 28 CC.

21

Ce n’est qu’une fois les intérêts pertinents de toutes les parties déterminés que leur pesée peut – et doit – être opérée par les autorités. La décision au sujet de la requête d’accès doit se fonder sur les intérêts prépondérants. Le refus est justifié dans l’hypothèse d’intérêts prépondérants des proches ou de tiers, en particulier leurs propres droits de la personnalité, à la confidentialité et la non-divulgation des informations demandées. Mais le dossier transmis au TA-ZH n’était pas suffisant pour pouvoir en juger.

22

Il aurait été intéressant de connaître la position des proches – allaient-ils renoncer à se prévaloir de leurs droits de la personnalité et dans l’hypothèse contraire, quels intérêts invoqueraient-ils –, et les considérations propres du tribunal au sujet des intérêts à protéger dans ce cas. Quant à la pesée des intérêts, on ne peut que spéculer sur quels intérêts de la journaliste pouvaient à ce stade, à savoir plus de 5 ans après le décès de GT, 20 années après sa sortie de prison et 35 ans après son acte, être invoqués, voire peser plus lourd que les souhaits présumables du défunt et l’intérêt de ses proches à préserver le secret sur la vie de GT, leur honneur et leur dignité, leur sphère privée et intime et à une vie non perturbée par la résurgence du passé. Le simple souci d’informer dans une publication ultérieure sur des faits véridiques ou la mission d’information des médias (art. 17 Cst.) – qui ne semble pas avoir été invoquée par la journaliste, comme nous le remarquons ci-dessus – n’y suffirait pas nécessairement. Qu’en serait-il de la liberté d’information et d’opinion (art. 16 Cst.) et de la liberté de la science (art. 20 Cst.) ? (Voir les discussions de ces libertés p.ex. dans les ATF 137 I 8, cons. 2, et 127 I 145, cons. 4 et 5).

23

De grand intérêt aurait aussi été l’éventuelle utilisation par l’autorité de la possibilité de n’accorder qu’un accès partiel, restreint ou assorti de conditions pour trouver le juste équilibre entre les intérêts en présence.

3. Remarques conclusives

24

Les concepts en matière de protection de la personnalité sont peu définis dans la loi et leur concrétisation à l’occasion de cas impliquant des criminels n’est pas fréquente. Les précisions et les concrétisations apportées par le TA-ZH, sans mener à une détermination définitive au sujet de la requête de la journaliste, sont donc les bienvenues en ce qu’elles éclairent la situation de personnes décédées dans l’hypothèse d’une demande d’informations les concernant.

25

Le TA-ZH clarifie la question de la prise en considération des intérêts de la personne décédée, alors que la protection de la personnalité post mortem est très limitée en droit civil suisse. Le droit public offre à cet effet une perspective plus large, ce qui est d’importance en matière de protection des données, en particulier sensibles. Cet arrêt met par ailleurs en évidence l’importance de prendre des dispositions concernant le sort de ses données après sa mort (même si la question n’est pas encore tranchée), afin de participer plus activement que par le biais du principe de la confiance à l’éventuelle pesée des intérêts post mortem nécessaire à trancher une demande de droit d’accès.


 

Note de bas de page:

  1. Pour les abréviations officielles des textes légaux cités, voir l’arrêt.  

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