Morceaux choisis de jurisprudence pénale rendue durant l’année 2024 en lien avec les médias
Miriam Mazou, avocate, spécialiste FSA droit pénal, Lausanne
Marie Besse, avocate, Lausanne
I. Introduction
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La présente chronique a pour vocation de présenter – sans prétendre à l’exhaustivité – une sélection d’arrêts rendus au cours de l’année écoulée en matière de droit pénal des médias et de procédure pénale en lien avec les médias. Les arrêts mentionnés dans la présente chronique, rendus en 2024, émanent principalement du Tribunal fédéral, mais également de certains Tribunaux cantonaux et du Tribunal administratif fédéral. On précisera que les noms des parties ont été indiqués dans la mesure où ceux-ci ont fait l’objet d’un communiqué du Tribunal fédéral.
II. Arrêts
1. Le fait d’autoriser la diffusion d’une vidéo de propagande tombe sous le coup des dispositions interdisant les groupes terroristes
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ATF 150 IV 65 : Il était reproché à A d’avoir violé la loi interdisant les groupes « Al-Qaïda » et « Etat islamique » (LAQEI), en publiant deux films de propagande et en assurant activement la promotion de ceux-ci via les réseaux sociaux ainsi que lors d’une manifestation publique. A forme recours au Tribunal fédéral contre sa condamnation.
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On précisera que l’infraction reprochée au prévenu (au sens de l’art. 2 al. 1 de la loi précitée, aujourd’hui abrogée) est désormais contenue à l’art. 74 al. 4 LRens, dont le libellé est identique.
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Le Tribunal fédéral retient tout d’abord que les vidéos en question avaient bel et bien un contenu propagandiste, prohibé par la loi (consid. 5.5.1).
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S’agissant plus précisément des faits reprochés à A, le Tribunal fédéral rappelle qu’il était membre du comité directeur et chargé de communication de l’association ayant publié les vidéos (consid. 5.3.1). Il avait autorisé à ce titre la publication des vidéos, lesquelles avaient été diffusés sur les réseaux sociaux de l’association, ainsi que sur diverses plateformes internet. Il jouait un rôle central dans les décisions relatives aux publications de l’association et seule son autorisation avait permis cette publication (c. 5.5.2). Ce faisant, il s’était livré à une retransmission consciente et objectivement reconnaissable de propagande interdite. Une telle retransmission tombe, en tant que telle, sous la clause générale d’« encouragement de toute autre manière » selon l’art. 2 al. 1 de la loi interdisant les groupes « Al-Qaïda » et « Etat islamique » (LAQEI) (consid. 5.5.2).
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Il était également reproché à A d’avoir publié une interview sur le site internet de l’association, dans laquelle il était fait référence à une vidéo de propagande, qui y était par ailleurs promue. Selon le Tribunal fédéral, ce comportement tombe également sous le coup de la clause générale d’« encouragement de toute autre manière » selon l’art. 2 al. 1 LAQEI (consid. 5.5.3).
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Il était encore reproché à A d’avoir organisé une manifestation de l’association, et d’y avoir joué un rôle de modérateur. Lors de cette manifestation, une vidéo de propagande avait été projetée. Ces faits relèvent également, selon le Tribunal fédéral, de l’art. 2 al. 1 LAQEI (consid. 5.5.4).
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Enfin, le tweet rédigé par A, contenant un lien vers une vidéo de propagande traduite dans une autre langue, entre également dans le champ d’application de l’art. 2 al. 1 LAQEI. Le Tribunal fédéral a ainsi confirmé la condamnation de A pour ces faits également (consid. 5.5.5).
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L’auteur invoquait la liberté d’opinion et d’information (art. 16 Cst et 10 CEDH) et la liberté des médias (art. 17 Cst et 10 CEDH). En l’espèce, le Tribunal fédéral a confirmé l’appréciation de l’instance précédente selon laquelle la restriction aux droits fondamentaux de A était justifiée (consid. 7 à 7.5.6). Le Tribunal fédéral a notamment constaté que A ne pouvait pas se prévaloir de la liberté des médias, puisqu’il avait autorisé, sans critique, la publication des vidéos de propagandes. Dans le cadre de la promotion de ces vidéos, il n’avait pas non plus apporté un regard critique ni de contextualisation (consid. 7.5.1 et 7.5.2).
2. Concours idéal entre les menaces et l’utilisation abusive d’une installation de télécommunication
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ATF 150 IV 273 : Le Tribunal fédéral a été saisi du recours de A, condamné notamment pour utilisation abusive d’une installation de télécommunication et menaces, pour avoir harcelé B par de nombreux appels infructueux et messages, dans lesquels il l’a menacée de venir la trouver chez elle, de « foutre la merde » chez ses parents, ainsi que de la « foutre dans la merde ». A concluait notamment à sa libération du chef d’accusation d’utilisation abusive d’une installation de télécommunication.
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Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a été amené à trancher la question du concours idéal entre les menaces (art. 180 CP) et l’utilisation abusive d’une installation de télécommunication (art. 179septies CP), question sur laquelle il ne s’était jamais encore prononcé.
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Après avoir analysé sa jurisprudence et plusieurs avis de doctrine (consid. 3.1 et 3.2), notre Haute cour arrive à la conclusion qu’il convient de retenir un concours idéal entre les deux infractions, dans la mesure où celles-ci protègent des biens juridiques distincts.
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En effet, selon le Tribunal fédéral, les menaces réprimées par l’art. 180 CP protègent « le droit de tout être humain de vivre en paix intérieur et de se sentir en sécurité en société en tant que parties de la liberté au sens large » (consid. 3.3). Quant à l’utilisation abusive d’une installation de télécommunication, elle vise à protéger le droit subjectif de la victime à ne pas être importunée par certains actes commis au moyen d’un téléphone (consid. 3.3).
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Dans ces circonstances, le Tribunal fédéral considère qu’il n’y a pas lieu de renoncer à réprimer spécifiquement ces différentes atteintes. Cela étant exposé, le Tribunal fédéral n’exclut pas entièrement que l’infraction de l’art. 179septies CP puisse être absorbée par celle de l’art. 180 CP dans le cas de quelques messages contenant spécifiquement une menace. Cela étant, en l’espèce, il conviendrait dans tous les cas de retenir un concours réel avec l’ensemble des communications qui n’en contenaient pas (consid. 3.3).
3. Condamnation d’Alain Soral pour discrimination et incitation à la haine par le Tribunal fédéral
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ATF 150 IV 292 : Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a notamment confirmé la condamnation d’Alain Soral, notamment pour discrimination et incitation à la haine, à une peine privative de liberté de 60 jours, prononcée par le Tribunal cantonal vaudois (Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal vaudois (CAPE) du 27 septembre 2023/208). L’arrêt cantonal avait été traité dans la contribution 2023, à laquelle il est renvoyé pour les détails de cet arrêt (Mazou Miriam/Besse Marie, Plusieurs appels à la haine jugés par les tribunaux, medialex 05/24, 7 juin 2024).
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En substance, il était reproché à Alain Soral d’avoir, lors d’une interview filmée parue sur plusieurs sites internet, notamment tenus les propos suivants au sujet d’une journaliste : « Et je rappelle que queer en anglais ça veut dire, je crois, désaxé. Donc je pense qu’entre ma vision du monde et celle d’une grosse lesbienne militante pour les migrants, je pense que je suis plus, moi, un combattant pour la paix, la fraternité et l’âme suisse que ceux qui aujourd’hui me font face et qui me harcèlent, alors que je ne leur ai rien demandé. ».
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Il sied de rappeler que depuis le 1er juillet 2020, l’art. 261bis CP protège également de la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle en sus de celle fondée sur l’appartenance raciale, ethnique ou religieuse.
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En premier lieu, le Tribunal fédéral retient que les propos d’Alain Soral, qui avait qualifié la partie plaignante tant de « militante queer » que de « grosse lesbienne militante », étaient dirigés à contre une personne d’une personne – ou un groupe de personnes – défini(e) par son orientation sexuelle. Il opposait ces qualificatifs à la représentation qu’il se faisait de lui-même, soit « l’âme suisse et l’esprit suisse, dans la grande tradition […] de Jean-Jacques Rousseau » (consid. 2.1.2). A cet égard, le Tribunal fédéral précise que la définition de « queer » peut inclure l’orientation sexuelle, tandis que l’usage du terme « lesbienne » est parfaitement univoque. En outre, le propos de l’auteur n’était pas exclusivement lié à l’activité militante de la partie plaignante. En définitive, le Tribunal fédéral conclut donc que le destinataire moyen pouvait comprendre que la partie plaignante présentait, du point de vue de l’auteur, le défaut d’être homosexuelle, ce qui correspond à l’un des critères posés par l’art. 261bis CP (consid. 2.1.2).
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En outre, le Tribunal fédéral a retenu que le langage utilisé par Alain Soral était rabaissant, déshumanisant et outrancier, incitant les internautes à mépriser la partie plaignante en raison de son orientation sexuelle. En affirmant, sans autre explication, que « queer » signifiait désaxé, l’auteur a immédiatement donné à ce terme une connotation fortement péjorative. De plus, le fait de présenter la partie plaignante – et la communauté homosexuelle dans son ensemble – comme ennemies des valeurs qu’il prétend défendre n’a fait que renforcer l’hostilité et le caractère homophobe qui ressortait déjà des propos incriminés. L’auteur a en outre inclus une photographie de la partie plaignante sous la vidéo incriminée, de sorte qu’il n’y a aucun doute pour le Tribunal fédéral que les propos d’Alain Soral tendaient à éveiller et exciter un sentiment de haine à raison de l’orientation sexuelle (consid. 2.2).
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Par ailleurs, le Tribunal fédéral a estimé que contrairement à ce que soutenait Alain Soral, la Cour cantonale était légitimée à tenir compte des commentaires publiés par des tiers pour établir la signification du propos incriminé du point de vue d’un destinataire moyen. Dans le cas d’espèce, ces tiers avaient perçu le sens haineux et discriminatoire du propos et avaient effectivement été incités à manifester leur haine à l’endroit de la plaignante en raison de son orientation sexuelle (consid. 2.3).
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En définitive, notre Haute Cour a conclu que les éléments constitutifs objectifs de l’art. 261bis CP étaient remplis (consid. 2.4).
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Sur le plan subjectif, le Tribunal fédéral a confirmé l’appréciation de l’instance précédente, considérant qu’Alain Soral avait agi intentionnellement (consid. 3 à 3.4).
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S’agissant de la liberté d’expression et de la protection conférée aux journalistes s’exprimant dans le cadre du débat politique invoquées par Alain Soral, le Tribunal fédéral a considéré que la démarche de ce dernier ne relevait pas du débat politique ni d’un débat d’intérêt général. Il s’agissait en réalité d’une attaque personnelle gratuite à l’encontre de la journaliste, définie par son orientation sexuelle, et non de l’expression d’une opinion sur des questions d’intérêt public (consid. 4.2). A supposer que l’art. 10 CEDH puisse trouver application et ne soit pas exclu par l’art. 17 CEDH (interdiction de l’abus de droit), les propos incriminés ne bénéficient que d’une protection réduite. En outre, en l’espèce, la restriction à la liberté d’expression est fondée sur une base légale, poursuit un but légitime et est proportionnée, de sorte que le grief d’Alain Soral est rejeté (consid. 4.2).
4. Condamnation du responsable rédactionnel d’un site internet pour défaut d’opposition à la publication d’un article diffamatoire (art. 322bis CPP)
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ATF 150 IV 433 : Dans cet arrêt publié aux ATF, le Tribunal fédéral a confirmé la condamnation du responsable d’un site internet pour défaut d’opposition à une publication constituant une infraction (art. 322bis cum 28 al. 2 CP).
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Cette affaire concernait la publication, sur un site internet dont A était le responsable rédactionnel, d’un article intitulé « Le TF condamne B. pour avoir soustrait au fisc CHF 267’609.- », alors même que l’arrêt du Tribunal fédéral en question ne portait pas sur une question de soustraction fiscale, ni sur une condamnation à ce titre.
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Analysant les conditions préalables à l’application de l’art. 322bis CP, le Tribunal fédéral a tout d’abord retenu que les propos litigieux étaient diffamatoires, de sorte que l’on se trouvait en présence d’une infraction primaire (consid. 6.2), laquelle était consommée (consid. 6.5). Ces propos avaient été publiés sur le site internet dont A assurait la responsabilité rédactionnelle (consid. 6.3). Le site en question devait être considéré comme un média, dans la mesure où il s’apparentait à un journal en ligne (consid. 6.4).
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Par ailleurs, pour que l’art. 322bis CP soit applicable, A ne devait pas pouvoir être qualifié d’auteur initial au sens de l’art. 28 CP. Tel était bien le cas en l’espèce, puisqu’il n’avait pas conçu ni donné sa forme au contenu litigieux, pas plus qu’il n’avait chargé un tiers de l’établir dans le but de le publier en son nom propre ou qu’il ne s’était fait passer pour son auteur tout en assumant la responsabilité (consid. 6.2.2).
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Il fallait en outre que l’auteur au sens de l’art. 28 al. 1 CP ne puisse être découvert ou ne puisse être traduit en Suisse devant un Tribunal, ce qui était le cas en l’espèce (consid. 6.7 à 6.7.3).
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Après avoir constaté que les conditions préalables à l’application de l’art. 322bis CP étaient remplies, le Tribunal fédéral a analysé l’applicabilité de cette disposition dans le cas d’espèce. En l’occurrence, A devait être considéré comme le rédacteur responsable et comme la personne responsable de la publication au sens de l’art. 322bis CP, dans la mesure où il assumait tous les processus liés au site internet litigieux, sous réserve de l’aide épisodique d’un modérateur (consid. 6.8).
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En outre, A avait publié l’article après l’avoir lu ; il aurait donc dû s’y opposer, disposant du pouvoir nécessaire pour le faire. En ne s’opposant pas à sa publication, il a adopté le comportement typique visé par l’art. 322bis CP (consid. 6.9). Le retrait de l’article six jours plus tard n’y change rien puisque selon le Tribunal fédéral, l’infraction est consommée dès la prise de connaissance de l’article litigieux par des lecteurs et/ou abonnés du site internet (consid. 6.9).
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Le Tribunal fédéral retient en outre que A a agi intentionnellement (consid. 6.10 à 6.10.3), et rappelle que la personne responsable au sens de l’art. 322bis CP – si l’infraction primaire est une diffamation -, pourrait théoriquement faire la preuve de la vérité au même titre que l’auteur initial, sur la base de l’art. 173 ch. 2 CP. En l’occurrence, l’Instance précédente avait considéré que A ne pouvait être admis à faire une telle preuve, puisqu’il avait agi dans le but de dire du mal d’autrui. A n’ayant pas contesté cette conclusion, le Tribunal fédéral a confirmé le jugement cantonal à cet égard également (consid. 6.11).
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Enfin, si l’infraction primaire est poursuivie uniquement sur plainte, l’art. 322bis CP ne peut s’appliquer que si une plainte pénale a été déposée contre l’auteur initial s’il est connu, ou contre inconnu s’il ne l’est pas. Cette condition était également remplie en l’espèce, ce qui a conduit le Tribunal fédéral à confirmer le jugement cantonal (consid. 6.12 et 6.13).
5. Le terme « africains » désigne bien une ethnie au sens de la disposition pénale réprimant la discrimination et l’incitation à la haine, mais également une race
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TF 6B_1477/2022 du 24 avril 2024 : Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral confirme la condamnation pénale d’un politicien pour discrimination et incitation à la haine (art. 261bis al. 4 CP).
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Dans le contexte du débat sur la votation populaire concernant le mariage pour toutes et tous, A avait publié un premier message sur son compte Facebook : « Si nous permettons que dans un avenir proche, des réfugiés africains (en majorité des hommes) puissent adopter des petites filles en vue de «figgifiggi», alors bonne nuit avec notre culture » (traduction libre). Cette publication avait été supprimée le lendemain et A s’en était expliqué ainsi : « Je l’ai supprimé parce que j’ai atteint mon objectif, à savoir détourner l’attention du thème de la division. Cependant, la réalité est que de toute jeunes filles sont souvent harcelées sexuellement par des hommes d’origine africaine. » (traduction libre). A avait, le même jour, encore publié le message suivant : « La loi est une étape vers d’autres exigences en matière d’adoption d’enfants issus de couples contre-nature » (traduction libre).
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En premier lieu, le Tribunal fédéral a été saisi de la question de savoir si le terme « africain » correspond à une ethnie au sens de l’art. 261bis CP, question qui n’avait encore jamais été tranchée.
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Tant l’expression « hommes d’origine africaine » que « réfugiés africains » désignent des personnes de sexe masculin originaire d’Afrique. En utilisant ces termes, A faisait référence à tout un continent et aux groupes ethniques le composant. Il importe peu que le destinataire moyen non averti puisse faire la distinction entre ces différentes ethnies ou les identifier précisément. Le sens premier des propos litigieux, pour un destinataire moyen, réside dans la désignation de l’ensemble de ces groupes ethniques regroupés sous le terme générique « africains » (consid. 3.4.1).
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En outre, le Tribunal fédéral retient que le terme « africain » fait notamment référence à une couleur de peau. Or la couleur de peau est notamment l’une des caractéristiques de la notion de race (consid. 3.4.2)
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En définitive, A a bien désigné une ethnie et une race au sens de l’art. 261bis CP avec les termes « hommes d’origine africaine » et « réfugiés africains ». Il ne saurait valablement prétendre avoir désigné l’ensemble des réfugiés (catégorie qui ne relève pas du champ d’application de l’art. 261bis CP), puisque le sens déterminant des propos du recourant résulte de l’utilisation des termes « africains » et « d’origine africaine » (consid. 3.4 à 3.4.3).
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S’agissant de la troisième publication du recourant, celle-ci tendaient à présenter l’homosexualité comme contre-nature. Cette déclaration homophobe tombe sous le coup de l’art. 261bis CP. Le recourant y qualifiait les personnes homosexuelles de citoyens de seconde zone, les rabaissant ainsi d’une manière contraire à la dignité humaine. L’élément subjectif était également rempli (consid. 4.3 et 4.4).
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Enfin, la condamnation du recourant était compatible avec la liberté d’expression. Le Tribunal fédéral a en effet considéré que A n’avait pas apporté une contribution objective à un débat politique et les propos excédaient ce qui est admissible dans un tel contexte (consid. 4.5 et 4.6).
6. Le huis clos imposé aux journalistes lors d’une audience d’appel obéit à des conditions restrictives
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TF 7B_61/2022 du 25 juin 2024 : Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a admis le recours d’un journaliste accrédité s’étant vu refuser l’admission à une audience d’appel dans une affaire portant d’actes d’ordre sexuels sur des enfants, de contrainte sexuelle et de pornographie, pour des motifs de protection des victimes.
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Le Tribunal fédéral rappelle tout d’abord les principes qui s’appliquent en matière de publicité des débats, mais également de protection des victimes, notamment mineures. D’une manière générale, l’exclusion du public et des chroniqueurs judiciaires doit demeurer proportionnée et suppose une pesée des intérêts en présence. Notre Haute cour rappelle également qu’une interdiction d’accès aux débats ne peut être admise que lorsque des restrictions moins incisives se révèlent inadaptées au but poursuivi. Une telle restriction doit en outre elle doit se limiter aux phases de la procédure durant lesquels sont abordés des aspects particulièrement sensibles, que les personnes concernées ne peuvent raisonnablement être contraintes à voir débattus en public (consid. 2 à 2.3).
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Le Tribunal fédéral note qu’en l’espèce, il est incontestable que les parties plaignantes, qui sont les victimes directes des abus sexuels, issues de l’entourage familial de l’auteur, nécessitent une protection particulière. La publication de détails intimes ou familiaux les concernant pourrait porter atteinte à leur intégrité psychique, voire les retraumatiser. Par ailleurs, étant donné que le prévenu avait déjà fait l’objet d’une condamnation antérieure rendue publique, la crainte que les plaignantes puissent être identifiées était légitime (consid. 3.3).
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Ces circonstances ne justifient toutefois pas que les journalistes aient été exclus totalement de l’audience d’appel. En outre, le huis clos ne permet pas d’éviter à lui seul d’éviter un risque de retraumatisation consécutif à une couverture médiatique. En outre, l’art. 70 al 4 CPP prévoit que lorsque le huis clos a été ordonné, le tribunal notifie le jugement en audience publique ou, au besoin, informe le public de l’issue de la procédure sous une autre forme appropriée. Ce mécanisme implique également une diffusion d’informations qui pourrait amener une retraumatisation. En l’occurrence, l’affaire avait d’ores et déjà été rendue publique à la suite d’un communiqué du tribunal de première instance.
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Dans le cas d’espèce, l’audition des victimes n’était pas prévue lors de l’audience d’appel et celles-ci avaient été dispensées de comparution personnelle. Dans ces conditions, la protection des parties plaignantes ne saurait primer sur l’intérêt du journaliste à informer le public et à assurer un contrôle de l’activité judiciaire. Cela est d’autant plus vrai que la procédure de première instance s’était déjà déroulée à huis clos.
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En conséquence, la décision de la Présidente de la Cour d’appel était disproportionnée et violait tant principe de la publicité de la justice que la liberté des médias et la liberté d’opinion et d’information. Au demeurant, la compétence pour prononcer le huis clos appartenait au tribunal et non à la direction de la procédure (consid. 3.3). Notre Haute cour arrive à la même conclusion s’agissant de l’exclusion des médias lors la lecture du jugement (consid. 4 à 4.2).
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Avant que le Tribunal fédéral ne rende son arrêt, la Cour cantonale avait communiqué le résultat de la procédure d’appel, se limitant à une restitution sommaire des faits et à l’annonce du verdict de culpabilité. Cela étant, ces informations concises restaient en deçà des discussions auxquelles on peut s’attendre lors d’une audience d’appel et lors du prononcé oral du jugement.
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En conséquence, le Tribunal fédéral a ordonné que le jugement motivé dans son intégralité soit remis sous forme anonymisée aux journalistes qui en feront la demande (consid. 5).
7. La pratique du DFF selon laquelle les prononcés pénaux sont consultables en version non anonymisée moyennant une requête formulée dans les 30 jours suivant leur entrée en force est admissible, sous réserve du dies a quo qui doit courir dès la notification du prononcé
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TAF A-1628/2023 du 2 juillet 2024 : Un prononcé pénal a été rendu contre l’employé d’une banque pour violation intentionnelle de communiquer des soupçons fondés en matière de blanchiment d’argent. Une amende de CHF 100’000.- lui a été infligée.
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Deux journalistes ont pris contact avec le Département fédéral des finances (ci-après : DFF) pour demander l’accès à la décision pénale, en tant que document sujet à consultation. Plusieurs échanges ont eu lieu entre les journalistes, le DFF, les mandataires de la personne condamnée et ceux de la banque, portant sur les modalités de consultation du prononcé pénal. Finalement, le DFF a décidé qu’après l’expiration du délai de recours, les journalistes seraient autorisés à consulter la version non anonymisée de la décision dans ses locaux, puis à en recevoir une copie également non anonymisée. La personne condamnée a formé un recours contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral.
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Le Tribunal administratif fédéral commence par rappeler les principes applicables en l’espèce (consid. 4 à 10).
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Le Tribunal administratif fédéral retient que les autorités qui appliquent le droit pénal administratif doivent s’assurer de la publication de leurs décisions, comme les autorités pénales ou civiles (consid. 10). En matière de publicité, la DPA est muette. Le Tribunal administratif fédéral estime qu’il s’agit d’une véritable lacune – et non d’un silence qualifié -, qui doit être comblée (consid. 11). A noter que l’avant-projet de révision de la DPA prévoit une disposition sur la consultation des décisions de l’administration appliquant le DPA (art. 69 AP-DPA) (consid. 7.7). Cela étant, et à tout le moins jusqu’à une éventuelle révision de la DPA, il se justifie d’appliquer les art. 69 et 70 CPP par analogie en droit pénal administratif, ce d’autant plus que la disposition relative à la publicité des décisions prévue par l’avant-projet s’en inspire explicitement (consid. 11). En définitive, la décision du DFF reposait sur une base légale suffisante.
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S’agissant des modalités de la consultation du prononcé pénal – à savoir la consultation en version non anonymisée sous réserve d’une requête formulée dans les 30 jours dès son entrée en force -, le Tribunal administratif fédéral considère qu’elles sont problématiques.
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En effet, le Tribunal administratif fédéral relève en premier lieu cette pratique du DFF s’inspire des recommandations de la Conférence des procureurs de Suisse en matière de dépôt public des ordonnances pénales, alors même que le prononcé pénal au sens du DFF est assimilé à un jugement de première instance selon la jurisprudence du Tribunal fédéral (consid. 12.2.2).
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L’avant-projet de révision de la DPA prévoit que les prononcés pénaux et de confiscation seront consultables pendant six mois dès leur notification. Le rapport explicatif expose à cet égard que le principe de publicité de la justice implique que le droit de consulter les décisions des tribunaux doit pouvoir s’exercer immédiatement, sans attendre l’entrée en force, comme c’est le cas lorsque ces décisions sont prononcées en audience publique. Ces exigences doivent également valoir pour les décisions qui interrompent la prescription en matière de DPA, telles que le prononcé pénal ou le prononcé de confiscation (consid. 12.2.2). En outre, selon la doctrine, en application de l’art. 69 al. 2 CPP, une personne intéressée par un jugement prononcé sans audience publique (par suite d’une renonciation des parties) dispose d’un droit à la consultation dès son prononcé (consid. 12.2.2).
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En conséquence, le Tribunal administratif fédéral considère que la pratique du DFF n’est pas conforme à ces principes et qu’il convient de retenir que le délai pour consulter les prononcés pénaux non anonymisés court courir dès leur notification, et non dès l’entrée en force (consid. 12.2.2).
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En ce qui concerne la durée du délai de consultation, fixée à 30 jours, elle n’est en revanche pas critiquable selon le Tribunal (consid. 12.2.3).
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Le Tribunal administratif fédéral relève en outre qu’il serait opportun que le DFF publie sa pratique à cet égard, cas échéant sur son site internet, pour des motifs de sécurité du droit (consid. 12.2.4).
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Le Tribunal administratif fédéral procède ensuite au calcul du délai de 30 jours, qui a donc commencé à courir le lendemain de la notification du prononcé. Dans le cas d’espèce et vu le dies a quo, les demandes des journalistes sont considérées comme tardives et le recours est admis sur ce point (consid. 13.2.2).
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Le Tribunal administratif fédéral rappelle qu’en dehors du délai de consultation public, les jugements sont consultables, au siège de l’autorité ou, le cas échéant, en ligne, en principe sous une forme anonymisée. Cela étant, le Tribunal administratif fédéral juge qu’il ne lui appartient pas d’examiner l’étendue et les modalités de la consultation d’un jugement dont les requêtes ont été déposées hors de ce délai et renvoie le dossier à l’Autorité inférieure pour qu’elle statue sur ce point, en tenant compte du fait que les requêtes n’ont pas été déposées dans le délai (consid. 15).
8. Les agents de sécurité d’un Président étrangers se sont rendus coupable de contrainte, dommages à la propriété et appropriation illégitime à l’égard d’un journaliste
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Cour de Justice (Cour pénale), Chambre d’appel et de révision de la République et canton de Genève, arrêt AARP/41/2024 du 17 janvier 2024 (P/13748/2019) : La Chambre d’appel et de révision de la République et canton de Genève a été amenée à se prononcer sur le cas de plusieurs agents de sécurités ayant tous été reconnus coupables en première instance de l’une ou plusieurs des infractions suivantes : contrainte, dommages à la propriété, et appropriation illégitime. Ils sollicitaient leur acquittement total.
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En substance, il leur était reproché d’avoir, à Genève, exercé des violences physiques à l’encontre d’un journaliste afin de l’empêcher de filmer, alors qu’ils dispersaient des personnes manifestant contre la présence d’un chef d’État. Ils lui auraient notamment saisi, contre sa volonté, son téléphone, son portefeuille et son sac à dos, tout en lui bloquant les bras, ce qui lui a causé des lésions. Il leur était également reproché d’avoir, dans ce contexte, détruit ses lunettes de soleil et endommagé son sac à dos.
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En l’espèce, le Tribunal cantonal genevois a retenu que les prévenus avaient agi en qualité de coauteurs, en recourant à des violences – soit un moyen illicite – dans le but d’empêcher le journaliste de filmer. Le but poursuivi par les auteurs devait également être qualifié d’illicite au regard de la liberté de la presse. Cela était d’autant plus vrai que les faits s’étaient déroulés dans l’espace public et que la partie plaignante avait annoncé sa qualité de journaliste. Par ailleurs, aucune vérification n’avait été entreprise par les prévenus avant de ceinturer l’individu. Ils auraient pu faire solliciter les policiers présents sur les lieux, de sorte que leur action était disproportionnée. Le Tribunal a ainsi reconnu les prévenus coupables de contrainte, à l’exception de l’un d’entre eux, qui avait tenté de calmer les tensions et, selon les images de vidéosurveillance, avait essayé de mettre de la distance entre ses collègues et le plaignant (consid. 2.9.1). Pour ce dernier, l’acquittement du chef d’accusation de contrainte avait été confirmé (consid. 2.9.1).
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Il était ensuite reproché aux prévenus d’avoir fouillé les poches du journaliste, ramassé et emporté les objets qui lui appartenaient, mais également d’avoir soustrait le téléphone avec lequel il filmait pour effacer les images. L’intervention de la police avait permis la restitution des objets. Le Tribunal a dès lors retenu qu’ils s’étaient rendus coupable d’appropriation illégitime (consid. 2.9.2).
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L’un des prévenus avait en outre été déclaré coupable de dommages à la propriété pour avoir cassé les lunettes de soleil du journaliste. Toutefois, étant donné qu’il était probable que celles-ci valaient moins de CHF 300.–, il devait bénéficier de la circonstance atténuante prévue à l’art. 172ter CP. Cette contravention se prescrit par trois ans et devait donc faire l’objet d’un classement (consid. 2.9.3).
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Les prévenus invoquaient la légitime défense et l’état de nécessité. Cela étant, à supposer que le fait de filmer ait constitué une attaque, encore aurait-il fallu qu’elle soit illicite. Tel n’est pas le cas, puisqu’il ressort clairement du dossier que la partie plaignante avait annoncé à plusieurs reprises sa qualité de journaliste, ce que les prévenus ne pouvaient ignorer. Il était donc légitimé à filmer les agents étrangers qui chargeaient un groupe de manifestants. Son acte n’était pas illicite, de sorte que la légitime défense était exclue (consid. 2.9.4.1).
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S’agissant de l’état de nécessité, aucun danger imminent ne pouvait être retenu. Le groupe de manifestants s’était comporté de façon pacifiste, allant jusqu’à changer de trottoir lorsque cela leur a été demandé. Par ailleurs, deux policiers étaient sur les lieux, prêts à intervenir. Au demeurant, les prévenus ne pouvaient se prévaloir d’un objectif de protection de leur président, lequel n’était pas présent sur les lieux (consid. 2.9.4.2).
9. La forte médiatisation d’une affaire ne justifie pas, lorsque le prévenu n’est pas identifiable dans les médias, l’allocation d’une indemnité pour tort moral
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Cour de Justice (Cour pénale), Chambre pénale de recours de la République et canton de Genève, arrêt ACPR/248/2024 du 15 avril 2024 (P/4438/2023) : La Chambre pénale de recours de la Cour de justice de la République et canton de Genève a rejeté le recours formé par un homme qui sollicitait une indemnité pour tort moral de CHF 25’000.- en raison des circonstances de son incarcération et du retentissement médiatique de son affaire.
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A avait été interpellé par la police en février 2023, à la suite d’un signalement des autorités françaises indiquant qu’une « story » publiée par ce dernier sur Snapchat s’apparentait à un projet d’attentat au nom de l’Islam. Il avait été arrêté alors qu’il vendait des churros et des crêpes dans une roulotte, devant une salle de concert. Il avait été libéré dès le lendemain, à l’issue de son audition par le Ministère public.
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D’une manière générale, cette affaire avait été relayée par les médias romands pendant les deux ou trois jours suivant les faits, mais l’identité de la personne arrêtée n’avait pas été révélée. Par ailleurs, des images de l’arrestation de A filmées par un particulier avaient été diffusées dans un article de journal, mais A n’y était pas identifiable. Les médias avaient relayé les communiqués de presse des autorités françaises et suisses, précisant le lendemain de l’arrestation que l’affaire se dégonflait.
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Une ordonnance de classement avait été rendue, aux termes de laquelle le Ministère public refusait à A toute indemnisation pour tort moral.
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A sollicitait une indemnité pour tort moral notamment en raison du retentissement médiatique et sur les réseaux sociaux de l’affaire, ainsi que des circonstances de son arrestation. L’autorité d’appel a tout d’abord retenu que les circonstances de l’interpellation, de même que les perquisitions opérées par la police, étaient justifiées par les éléments à disposition au moment des faits, et ne pouvaient dès lors fonder un droit à indemnisation pour tort moral.
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Le Tribunal a également considéré que l’écho de l’affaire dans les médias et sur les réseaux sociaux ne justifiait pas non plus une telle indemnisation. En effet, A n’était pas reconnaissable au travers des articles de presse et les communiqués du pouvoir judiciaire ont eu pour effet de dégonfler l’affaire. Par ailleurs, il avait par la suite pris l’initiative d’intervenir dans les médias pour se réhabiliter et l’Etat ne saurait être tenu responsable du dégât d’image qui aurait pu en résulter (consid. 4.2).

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