Morceaux choisis de jurisprudence pénale rendue durant l’année 2023 en lien avec les médias
Miriam Mazou, avocate, spécialiste FSA droit pénal, Lausanne
Marie Besse, avocate, Lausanne
I. Introduction
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La présente chronique a pour vocation de présenter – sans prétendre à l’exhaustivité – une sélection d’arrêts rendus au cours de l’année écoulée en matière de droit pénal des médias et de procédure pénale en lien avec les médias. Les arrêts mentionnés dans la présente chronique, rendus en 2023, émanent principalement du Tribunal fédéral, mais également de Tribunaux cantonaux et du Tribunal pénal fédéral. On précisera que les noms des parties ont été indiqués dans la mesure où ceux-ci ont fait l’objet d’un communiqué du Tribunal fédéral.
II. Arrêts
1. Le Tribunal fédéral confirme la condamnation de l’humoriste Dieudonné pour discrimination raciale (art. 261bis al. 4 in fine CP)
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ATF 149 IV 170 : Dans cet arrêt publié au ATF, le Tribunal fédéral a confirmé l’arrêt de la Chambre pénale d’appel et de révision de la Cour de justice genevoise du 22 avril 2022 qui avait été traité dans la contribution relative à l’année 2022.
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En substance, notre Haute cour a considéré qu’il ne faisait pas de doute que la phrase prononcée par l’humoriste lors de l’un de ses spectacles, soit « Les chambres à gaz n’ont jamais existé », revenait objectivement à nier le l’Holocauste et donc un génocide, voire à le minimiser grossièrement (consid. 1.3). Dans ces circonstances, Dieudonné ne pouvait donc pas se défendre en indiquant, sur le plan subjectif, qu’il n’avait pas une apporté de justification à son propos ni le moindre argument discursif et qu’il s’était donc limité à déclamer la phrase litigieuse alors qu’il interprétait un personnage de fiction (consid. 1.3).
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Selon le Tribunal fédéral, s’agissant du mobile discriminatoire, Dieudonné ne pouvait pas se prévaloir de l’absurdité du propos en tant que tel ou du caractère fictionnel du personnage interprété dans la mesure où il est évident que, par ses paroles, il entendait faire écho à ses opinions personnelles supposées (consid. 1.4.2). En outre, l’humoriste a fait l’objet de très nombreuses condamnations, à l’étranger, pour diffamation et provocation à la discrimination raciale ou religieuse notamment (consid. 1.4.3). Par ailleurs, le Tribunal fédéral a notamment relevé que le fait de tourner en dérision le procès de Nuremberg, le qualifiant notamment « GPS de la conscience » et de « divertissement judiciaire », était propre à démontrer la volonté de Dieudonné de minimiser les souffrances des victimes de la Shoah, quand bien même ces propos ne faisaient pas l’objet de la procédure pénale (consid. 1.4.3).
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En outre, le Tribunal fédéral relève qu’il est douteux qu’au regard de l’art. 17 CEDH Dieudonné ne soit fondé à invoquer sa liberté d’expression, dans la mesure où le propos incriminé paraît consacrer en soi l’expression d’une idéologie allant à l’encontre des droits et libertés reconnus par la CEDH (consid. 1.4.4). Cela étant, même si la liberté d’expression devrait trouver application en l’espèce, le Tribunal fédéral considère qu’il conviendrait d’y apporter une restriction. En effet, il est exclu exclu d’accorder systématiquement un blanc-seing à tout artiste tenant des propos négationnistes ou révisionnistes, sous-prétexte qu’il agirait dans le cadre de l’expression de son art ou par le biais d’un personnage de fiction. Le Tribunal fédéral confirme à cet égard le raisonnement de la Cour cantonale (consid. 1.4.4). Selon notre Haute cour, la phrase incriminée n’a en l’espèce pas été prononcée à des fins humoristes, parodiques ou satiriques mais bien principalement afin de minimiser la souffrance d’un peuple et d’affirmer le positionnement de Dieudonné à cet égard, voire également de provoquer et de créer la polémique au détriment des membres de la communauté juive (consid. 1.4.4).
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En définitive, considérant que l’humoriste a bel et bien agi en étant mû par un mobile discriminatoire, le Tribunal fédéral confirme sa condamnation (consid. 1.5).
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A teneur des considérants 2 à 2.5 et 3 à 3.4, non publiés au ATF, le Tribunal fédéral a également confirmé la condamnation de l’intéressé pour injure et pour diffamation s’agissant des autres faits qui étaient reprochés à l’humoriste.
2. Acquittement d’un ancien haut fonctionnaire français renversé par le Tribunal fédéral
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TF 6B_748/2022 du 2 juin 2023 : Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a annulé un arrêt du Tribunal cantonal vaudois ayant fait l’objet de la contribution 2022, concernant un ancien haut fonctionnaire français (Cour d’appel du Tribunal cantonal du canton de Vaud (CAPE) 1er avril 2022/142). Il était reproché à ce dernier d’avoir, dans le cadre d’une conférence publique, déclaré « il y a pire que le coronavirus, il y a le judéovirus », ce alors qu’à tout le moins dix personnes, dont un journaliste, se trouvaient dans la salle. Ces propos avaient par la suite donné lieu à un article dans la presse.
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La Cour cantonale vaudoise avait considéré que l’ancien haut fonctionnaire devait être acquitté du chef de prévention de discrimination raciale, dans la mesure où il n’aurait pas tenu les propos incriminés publiquement au sens de l’art. 261bis CP.
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Le Tribunal fédéral est d’un autre avis. En effet, notre Haute cour a considéré que les propos en question avaient été suffisamment audibles jusqu’au dernier rang (où se trouvait le journaliste les ayant rapportés) (consid. 2.4).
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Par ailleurs, selon notre Haute cour, il n’est pas suffisamment établi que l’auteur connaissait la dizaine de personnes présentes, ni le journaliste, de sorte qu’il ne se trouvait pas dans un environnement de relations personnelles ou empreint d’une confiance particulière. En outre, l’ancien haut fonctionnaire se décrit lui-même comme un homme public et était présent à cette conférence en qualité d’orateur. Or contrairement à ce qu’a retenu la Cour cantonale, il est indifférent que le journaliste n’ait pu avoir été à la recherche d’un scoop, dans la mesure où le public était précisément là pour écouter le conférencier. Le fait que l’intéressé ait déclaré, avant de tenir les propos incriminés, « je le dis avant que la caméra ne tourne » ne permet pas d’écarter le caractère public de ses déclarations au sein de la salle de conférence et vis-à-vis du public présent. Cela était par ailleurs de nature à éveiller la curiosité du public. Ces circonstances suffisent à nier le caractère privé des propos litigieux et l’élément constitutif relatif à la publicité est réalisé (consid. 3).
3. Condamnation pour discrimination raciale au sens de l’art. 261 bis al. 4 CP de l’auteur d’un texte à caractère négationniste et antisémite
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TF 6B_1438/2021 du 16 février 2023 : Dans cet arrêt, notre Haute Cour a confirmé une condamnation pour discrimination raciale au sens de l’art. 261bis al. 4 CP. Il était reproché à l’auteur d’avoir un article intitulé « Les élucubrations du Tribunal fédéral suisse » sur le site internet « La Sentinelle du Continent », article ayant un caractère négationniste et antisémite marqué.
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S’agissant des éléments constitutifs objectifs de l’infraction, le Tribunal fédéral a considéré que l’auteur ne s’était pas borné à citer les textes d’autrui sans prendre position, ni à débattre de la répartition du fardeau de la preuve dans le cadre de l’application de la norme pénale anti-raciste. Au contraire, certains passages du texte, mais également le ton ironique utilisé pour commenter la jurisprudence du Tribunal fédéral à teneur de laquelle le recours aux chambres à gaz pour l’extermination des juifs à l’époque du Troisième Reich était un fait historique indiscutable, confirmaient qu’aux yeux d’un lecteur non averti, l’auteur questionnait l’existence des chambres à gaz. Par ailleurs, interrogé sur le sujet de son article, le recourant n’avait pas manqué de réitérer son scepticisme à ce sujet. En conséquence, selon notre Haute cour, les propos tenus s’inscrivent clairement dans une propagande négationniste (consid. 1.4).
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S’agissant de l’élément subjectif, le Tribunal fédéral retient que l’auteur ne démontre pas que les constatations de la Cour cantonale seraient insoutenables. L’autorité cantonale avait en effet retenu que les propos de l’auteur selon lesquels « l’existence des chambres à gaz sous le Troisième Reich » résultait des « allégations de propagande de guerre et de paix », ainsi que sa référence aux « affabulateurs » ayant relaté une « déportation imaginaire » ou exagéré « les monstruosités qu’ils avaient vues ou dont on leur avait parlé », suffisaient à démontrer l’existence d’un mobile discriminatoire (consid. 2.2 à 2.4).
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Le recourant n’était pas non plus fondé à invoquer sa liberté d’expression. En effet, dans la mesure où son article était manifestement négationniste, il ne saurait bénéficier de la protection des art. 10 CEDH et 16 Cst., dans la mesure où la condamnation constitue une ingérence nécessaire à la sauvegarde de l’intérêt public (art. 16 Cst cum 36 Cst), respectivement une mesure nécessaire, dans une société démocratique, pour le maintien de l’ordre public et la protection de la réputation ou des droits d’autrui (art. 10 ch. 2 CEDH) (consid. 3.1 à 3.4).
4. Condamnation pour discrimination et incitation à la haine du Président du Parti nationaliste suisse (PNS)
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TF 6B_ 857/2022 du 13 avril 2023 : Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a confirmé la condamnation pour discrimination et incitation à la haine du Président du Parti nationaliste suisse (PNS) pour avoir publié sur la page Facebook du groupe public « PNS – Parti Nationaliste suisse », ainsi que sa page Facebook privée, le texte suivant :
« Sous le prétexte de «la liberté d’expression » on peut donc insulter 1.8 milliards de musulmans dans le monde, alors que relever des invraisemblances dans l'histoire de la Shoah vous emmène droit en prison ! Pour le film documentaire « Hold up » même traitement, on aimerait que ces organismes de censures aillent à Auschwitz pratiquer le même zèle de recherche historique et qu'ils relèvent les absurdités que l'on nous sert et ressert depuis 1945 ! ».
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Pour le Tribunal fédéral, le texte en question devait se comprendre, aux yeux d’un lecteur moyen non averti, comme désignant l’Holocauste en tant que tel, soit l’extermination systématique des juifs sous le Troisième Reich et il importait peu que son auteur n’ait pas mentionné directement les chambres à gaz, dans la mesure où la référence à Auschwitz était suffisamment univoque pour le lecteur moyen. Pour le surplus, les termes « invraisemblances » et « absurdités » appliqués à l’histoire de la Shoah devaient être compris par le lecteur moyen comme signifiant que l’existence de ces faits historiques était douteuse. En définitive, le Tribunal fédéral a retenu que les propos incriminés s’inscrivaient pleinement dans la théorie du « mensonge d’Auschwitz », de sorte que les éléments constitutifs objectifs de l’infraction de discrimination étaient remplis (consid. 1.2).
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S’agissant de l’élément subjectif, celui-ci était également donné pour le Tribunal fédéral. En effet, notre Haute Cour a considéré que rien n’obligeait le Président du PNS à construire son argumentation par le biais d’une comparaison émaillée de propos discriminatoires à l’endroit de la communauté juive. En outre, lorsqu’il affirme avoir uniquement exprimé le souhait de pouvoir débattre plus librement de certains sujets sans tomber sous le coup de la norme pénale, il ne fait, en définitive, que réclamer la possibilité de discuter de la réalité de l’Holocauste, ce que, précisément, le législateur a érigé en comportement pénalement repréhensible. Par ailleurs, dans le cadre de la procédure, l’auteur avait persisté à se plaindre d’une instrumentalisation du thème de l’Holocauste ainsi que des prétendus « éléments exagérés » qui en découleraient. En définitive, la Cour cantonale pouvait conclure que l’intention du recourant portait sur tous les éléments constitutifs de l’infraction (consid. 1.3-1.3.4).
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S’agissant de la liberté d’expression invoquée par le Président du PNS, et dans la mesure où les propos de ce dernier tendaient à mettre en doute la réalité de l’extermination des juifs durant le Troisième Reich, sa condamnation pénale visait à protéger la dignité humaine des membres de la communauté juive et constituait dès lors une ingérence nécessaire à la sauvegarde de l’intérêt public (art. 16 Cst cum 36 Cst), respectivement une mesure nécessaire dans une société démocratique, pour le maintien de l’ordre public et la protection de la réputation ou des droits d’autrui (art. 10 ch. 2 CEDH). En conséquence, le recourant ne pouvait se prévaloir de la liberté d’expression (consid. 1.4.3).
5. Condamnation d’Alain Soral pour discrimination et incitation à la haine par le Tribunal cantonal vaudois
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Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal vaudois (CAPE) du 27 septembre 2023/208 : Dans cet arrêt, la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal vaudois a constaté qu’Alain Soral s’était rendu coupable de discrimination et incitation à la haine pour avoir, lors d’une interview filmée parue sur plusieurs sites internet, notamment tenus les propos suivants au sujet d’une journaliste : « Et je rappelle que queer en anglais ça veut dire, je crois, désaxé. Donc je pense qu’entre ma vision du monde et celle d’une grosse lesbienne militante pour les migrants, je pense que je suis plus, moi, un combattant pour la paix, la fraternité et l’âme suisse que ceux qui aujourd’hui me font face et qui me harcèlent, alors que je ne leur ai rien demandé. ».
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Selon la Cour cantonale, en rapprochant les termes « queer » et « désaxé », Alain Soral avait présenté l’orientation sexuelle de de la journaliste comme déficiente, anormale et par conséquent méprisable (consid. 4.2). Ce caractère dépréciatif, rabaissant et discriminant était en outre renforcé par le contexte général de la présentation générale de la journaliste (« grosse lesbienne », « militante communautaire », colportant des « fake news »). En définitive, les termes utilisés par Alain Soral faisaient apparaître la plaignante, mais également toute la communauté homosexuelle et lesbienne, comme quelqu’un qui, en raison de son orientation sexuelle, serait indigne et déséquilibrée (consid. 4.2.). En outre, la Cour cantonale retient que l’article de presse rédigé par la journaliste, ayant donné lieu à la vidéo litigieuse, était factuel et nuancé et qu’il ne comportait rien qui aurait trait à des questions portant sur l’identité sexuelle (consid. 4.2.). Or, Alain Soral n’a pas critiqué le travail journalistique de l’autrice mais bien son orientation sexuelle et sa réaction ne procédait pas d’une réaction à chaud (consid. 4.2.). En outre, il avait pris le soin de faire figurer une photographie de la plaignante sous la vidéo incriminée. En définitive, il avait donc cherché à diffuser un message destiné à éveiller et exciter un sentiment homophobe auprès de ses spectateurs et auditeurs (consid. 4.2.).
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Par ailleurs, la réaction virulente des internautes (utilisant notamment les termes de « désaxée », « dégénéré », « extra-terrestre lgbt », « goudou malsaine », « mère […] broute minous »), dont Alain Soral s’était amusé en procédure, prouve que les propos litigieux avaient bel et bien incité à la haine et à la discrimination de la partie plaignante. Ces considérations, mais également le fait qu’Alain Soral n’ait pas modéré les commentaires et qu’il ait maintenu en ligne la vidéo incriminée malgré la procédure pénale, atteste du dessein de ce dernier d’attiser chez ses spectateurs et auditeurs des émotions viles de manière à susciter la haine et la discrimination (consid. 4.2.).
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Enfin, les propos ont été tenus publiquement et la vidéo avait été visionnée des milliers de fois, de sorte que les éléments constitutifs objectifs de l’infraction réprimée par l’art. 261bis al. 1 CP sont remplis. En outre, Alain Soral a agi intentionnellement selon la Cour cantonale (consid. 4.2.).
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Cela étant, contrairement à l’avis du Ministère public, la Cour cantonale a considéré qu’Alain Soral ne pouvait pas être condamné pour propagation d’une idéologie visant à rabaisser une personne ou un groupe de personne en raison de leur orientation sexuelle au sens de l’art. 261bis al. 2 CP, dès lors que l’on ne pouvait retenir qu’il avait cherché à propager des thèses homophobes (consid. 5 à 5.2).
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En outre, la Cour cantonale a considéré que la culpabilité d’Alain Soral était lourde et n’a retenu à décharge que le fait qu’il avait, depuis le jugement de première instance, retiré la vidéo litigieuse de son site Internet, ce qui aurait néanmoins dû être fait bien plus tôt. Au vu des 22 condamnations d’Alain Soral en France notamment pour des propos racistes, discriminatoires ou diffamatoires, à des peines pécuniaires et à des peines privatives de liberté avec sursis et du fait qu’il n’en avait tiré aucun enseignement, seule une peine privative de liberté pouvait entrer en ligne de compte, en l’occurrence de 40 jours (consid. 7 à 7.2). Au vu des nombreux antécédents d’Alain Soral en France et de l’absence de remise en question de ce dernier, le pronostic est entièrement défavorable et la peine privative de liberté devait donc être ferme (consid. 7 à 7.2).
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Cet arrêt a été confirmé dans une très large mesure par le Tribunal fédéral dans un arrêt 6B_1323/2023 du 11 mars 2024 destiné à publication – notamment sur la question de la condamnation d’Alain Soral à une peine privative de liberté ferme de 40 jours pour discrimination et incitation à la haine. Cet arrêt sera traité dans le cadre de la contribution 2024.
6. Confirmation de la condamnation par le Tribunal fédéral de la condamnation d’un ancien journaliste pour menaces alarmant la population (art. 258 CP)
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TF 6B_1040/2022 du 23 août 2023 : Dans cet arrêt, notre Haute cour a confirmé la décision de la Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud (CAPE) du 21 avril 2022/167 ayant fait l’objet de la contribution 2022.
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En substance, il était reproché à cet ancien journaliste d’avoir adressé plusieurs courriers, anonymes, à des conseillers d’Etats et à la presse, mettant en cause l’activité d’un groupe actif dans le domaine de la construction, de l’Etat de Vaud et d’une conseillère d’Etat. Cet ancien journaliste était en outre intervenu dans la presse « à visage découvert », mettant à nouveau en cause le groupe, l’Etat de Vaud et la Conseillère d’Etat. Il avait notamment soutenu dans ses écrits que l’eau fournies à des milliers de ménages vaudois était totalement impropre à la consommation.
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En premier lieu, le Tribunal fédéral a considéré que la Cour cantonale avait à juste titre retenu que l’alerte à l’empoissonnement était évidente (consid. 2.3). À juste titre également, la Cour cantonale avait considéré que l’alarme était fallacieuse, dans la mesure où les prélèvements effectués attestaient de l’absence de tout pollution (consid. 2.4.1)
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En outre, notre Haute cour a retenu qu’il n’était pas arbitraire de retenir que les prélèvements effectués attestaient de l’absence de toute pollution et que le danger annoncé était objectivement faux (consid. 2.4.2).
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Au demeurant, l’alerte avait été relayée par plusieurs médias à grand tirage, dont un média ayant relevé qu’entre 10’000 et 15’000 vaudois seraient concernés par la pollution de l’eau et seraient susceptibles d’être atteints dans leur santé. Pour le Tribunal fédéral, il ne fait pas de doute qu’une telle annonce est propre à créer un sentiment d’insécurité auprès des habitants de la région visée (consid. 2.5.1 et 2.5.2).
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En outre, le Tribunal fédéral a considéré que la Cour cantonale pouvait valablement retenir que l’ancien journaliste ne tenait pas le danger pour réel au vu des circonstances de l’espèce (consid. 2.5.3). En définitive, la condamnation de l’ancien journaliste devait être confirmée, ce dernier n’ayant pas démontré l’arbitraire des faits retenus par l’autorité cantonale et n’articulant aucun grief recevable tiré de l’application erronée du droit matériel (consid. 2.6).
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Enfin, le Tribunal fédéral a également confirmé la condamnation de l’ancien journaliste pour calomnie à l’égard d’une conseillère d’Etat, qu’il avait accusée de favoriser une entreprise au détriment de l’intérêt public à plusieurs reprises (consid. 3.1-3.6), la peine prononcée par l’Autorité précédente (consid. 4.1.1-4.3.3), ainsi que la durée du délai d’épreuve (consid. 4.4.1-4.4.3).
7. Acquittement d’une journaliste et d’un élu lausannois pour avoir traité le gestionnaire d’un projet immobilier de «propriétaire voyou»
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Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal vaudois (CAPE) du 4 décembre 2023/394 : Dans cet arrêt, le Tribunal cantonal vaudois a acquitté une journalise et un élu lausannois du chef de prévention de diffamation. L’élu avait notamment déclaré que la ville de Lausanne aurait trop souvent accordé foi aux engagements d’un « propriétaire voyou », propos qui avaient par la suite été retranscris dans un article du 24heures publiée sous la signature de la journaliste précitée. L’entreprise visée par ces propos avait déposé plainte pour atteinte à l’honneur.
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En l’occurrence, seul restait litigieux le terme de « voyou » utilisé dans la publication incriminée. Selon la Cour cantonale, la définition de ce terme issue du Dictionnaire de l’Académie française excluait toute atteinte à l’honneur, même si cette portée ne pouvait être directement déduite des dictionnaires Grand Robert et Larousse (consid. 4.1.).
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En outre, le Tribunal cantonal a relevé que le terme « voyou » n’avait pas été utilisé seul par le prévenu, mais dans la locution « propriétaire voyou », soit comme un adjectif. C’était donc uniquement l’attitude de la société plaignante en sa qualité de propriétaire qui était mise en cause, de sorte que le lecteur moyen devait comprendre que le but n’était pas de faire passer l’entreprise plaignante pour une structure mafieuse mais de s’interroger les règles et les délais relatifs à un permis de construire qui lui avait été délivré (consid. 4.2.).
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Par ailleurs, les faits dénoncés par l’élu dans l’article de presse litigieux avaient fait l’objet d’un classement, principalement au motif que les prévenus avaient pu apporter la preuve libératoire. Or ces faits étaient, objectivement, au moins autant de nature à causer l’opprobre que le mot « voyou ». En outre, c’est précisément dans le contexte de ces faits, que la locution « propriétaire voyou » avait été employée. Il s’agissait d’un pur jugement de valeur, qui n’excédait pas les limites admises dans le débat politique (consid. 4.2.). Or, le gestionnaire d’un projet immobilier d’importance au centre du grande ville s’y expose en cette qualité (consid. 4.2.).
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En conséquence, pour la Cour cantonale, les termes litigieux ne relevaient pas de l’atteinte à l’honneur pénalement protégée par le droit pénal et l’acquittement des prévenus a donc été confirmé (consid. 4.2.).
8. Les qualificatifs « troll le plus détestable de la blogosphère romande », « chantre du cannabis » et « spécialiste des fake news » ne sont pas diffamatoires
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Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal du canton de Vaud (CAPE) du 21 février 2023/54 : S’appuyant sur les définitions du Petit Larousse Illustré (éd. 2023) et du Petit Robert (éd. 2023), le Tribunal cantonal a considéré que l’expression « troll », de même que le terme « infox », ne constituaient pas des atteintes à l’honneur ni des termes injurieux. Selon la Cour cantonale, l’expression « chantre du cannabis » n’est pas non plus offensante, dans la mesure où il n’est pas – à tout le moins plus – honteux de faire la promotion de produits cannabiques.
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En ce sens, les termes et expressions litigieux en l’espèce (soit « « troll le plus détestable de la blogosphère romande », « chantre du cannabis » et « spécialiste des fake news ») ne jettent pas sur la personne visée le soupçon d’avoir eu un comportement contraire aux règles de l’honneur et ne sont pas à même de la rendre méprisable en sa qualité d’être humain, de sorte que ces termes et expressions n’ont pas de caractère diffamatoire (consid. 3.3).
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Dans ces circonstances, la Cour d’appel pénale a confirmé la libération de K. du chef d’accusation de diffamation. Cela étant, le Tribunal cantonal vaudois a considéré que l’usage de ces termes constituait tout de même un comportement civilement illicite portant atteinte à la personnalité de la partie plaignante au sens de l’art. 28 CC, qui justifiait que la moitié des frais de la procédure première instance soient mis à sa charge (consid. 4.3).
9. L’appel au boycott de l’armée est couvert par la liberté d’expression
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TPF du 3 juillet 2023 (Cour des affaires pénales, SK.2023.4) : Dans cet arrêt, le Tribunal pénal fédéral a acquitté trois prévenus à qui il était reproché d’avoir publié sur internet, un article intitulé « l’Armée, je boycotte » au nom de la Grève du Climat.
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Il ressortait notamment du texte litigieux ce qui suit : « La Grève du Climat appelle à faire grève militaire. Par éthique, morale, responsabilité écologique et sociale, nous ne consentons pas à payer la taxe, ni à aller au service militaire (…) si vous devez payer la taxe miliaire, ne la payez pas (…) si vous êtes appelé au service miliaire, n’y allez pas ». La Grève du Climat indiquait encore s’engager à tenter de soutenir les personnes qui recevraient des ordonnances pénales et autres repressions en lien avec cette action.
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En premier lieu, le Tribunal pénal fédéral procède à une analyse complète du texte incriminé et conclut qu’il s’agit principalement d’une plaidoirie en faveur du service civil (consid. 5.1.2). Toutefois, la phrase « Si vous êtes appelé au service militaire, n’y allez pas », doit être considérée comme une provocation à la désobéissance à l’obligation de répondre à l’appel au service miliaire. Or ce texte avait été rendu public et s’adressait à un nombre indéterminé de personnes, de sorte qu’il s’agissait d’une provocation au sens de l’art. 276 CP (consid. 5.1.2). Selon le Tribunal pénal fédéral, l’élément subjectif était également réalisé (consid. 5.1.3).
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En définitive, le Tribunal pénal fédéral arrive à la conclusion que le comportement de deux des trois prévenus remplit les éléments constitutifs objectifs et subjectifs de l’infraction de provocation et d’incitation à la violation des devoirs militaires (consid. 5.2, 5.3 et 5.4).
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Cela étant, l’application de l’art. 276 CP suppose que le principe de proportionnalité au sens des art. 36 Cst et 10 al. 2 CEDH soit respecté dans le cadre de l’atteinte à a liberté d’expression engendrée par l’application de cette disposition (consid. 6.1.1-6.1.3). En outre, selon l’art. 14 CP, quiconque agit comme la loi l’ordonne ou l’autorise se comporte d’une manière licite, même si l’acte est punissable en vertu du CP ou d’une autre loi. Le cas d’espèce devait donc être examiné sous l’angle de la liberté d’expression, garantie par les art. 36 Cst et 10 CEDH (consid. 6.1.4 ss).
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En l’espèce, le Tribunal pénal fédéral retient qu’il est clair que la condamnation des deux militants climatiques constituerait une atteinte à leur liberté d’expression (consid. 6.1.10). S’appuyant sur la jurisprudence rendue par la Cour européenne des droits de l’homme en lien avec la portée de la liberté d’expression dans un contexte où elle entre potentiellement en conflit avec la sécurité militaire, le Tribunal pénal fédéral conclut que la restriction à la liberté d’expression des prévenus est inadmissible au regard du principe de proportionnalité, même si elle est fondée sur une base légale et un intérêt public (consid. 6.1.11 ss).
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En effet, le texte « L’Armée, je boycotte », s’inscrit dans un débat politique et bénéficie donc d’une protection accrue au regard de la liberté d’expression. L’art. 10 CEDH ne laisse aucune place à la restriction de la liberté d’expression, sous réserve des propos qui exhortent à l’usage de la violence ou qui constituent un discours de haine, ce qui n’est pas le cas en l’espèce (consid. 6.1.17 et 6.1.18). S’agissant de la mise en balance des intérêts en cause, la CourEDH commence par rappeler que la Suisse vit en temps de paix et que la mise en danger peut donc être considérée comme faible (consid 6.1.19 et 6.1.20). Si le texte a été publié dans le cadre de la mobilisation des troupes durant la lutte contre le Covid-19, force est d’admettre qu’il est intervenu a été publié vers la fin du déploiement. En outre, le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports n’a pas réagi et le Conseil fédéral a expressément refusé de réagir, de sorte que l’on peut considérer qu’il n’y a eu aucune mise en danger concrète de la sécurité militaire (consid. 6.1.22). En conséquence, la condamnation des militants climatiques ne s’avérerait pas nécessaire dans une société démocratique au sens de l’art. 10 § 2 CEDH et une telle atteinte serait disproportionnée au sens de l’art. 36 Cst. La conséquence de cette restriction inadmissible à la liberté d’expression doit donc être l’acquittement des prévenus (consid. 6.1.28).
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Cet arrêt est désormais définitif, le Ministère public de la Confédération n’ayant pas formé appel à son encontre.
10. Les ordonnances pénales non entrées en force peuvent être rendues accessibles à des tiers, et en particulier à des médias
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Chambre pénale de recours du canton de Genève du 28 juillet 2023 P/427/2023 : La dénommée A a été reconnu coupable de faux dans les titres par ordonnance pénale rendue par le Ministère public du canton de Genève. Elle a formé opposition à cette ordonnance pénale – qui n’est donc pas entrée en force – et sollicité que celle-ci ne soit pas rendue accessible à des tiers, en particulier à des médias ou journalistes, ce à qu’a refusé le Ministère public. A recourt contre cette décision de l’Autorité d’instruction.
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La Cour cantonale genevoise commence par rappeler la jurisprudence du Tribunal fédéral en lien avec le droit des tiers intéressés à connaître les jugements rendus après la clôture d’une procédure (consid. 2.4.1). Elle rappelle également les principes découlant des recommandations de la Conférence des procureurs de Suisse (consid. 2.6) et la Directive du Procureur général du canton de Genève en la matière (consid. 2.7).
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Appliquant par analogie la jurisprudence du Tribunal fédéral sur la consultation des jugements non entrés en force ou annulés, la Chambre pénale de recours retient que limiter la consultation aux seules ordonnances pénales entrées en force serait contraire au principe fondamental de transparence de l’administration de la justice et empêcherait, du moins partiellement, un contrôle efficace de l’activité judicaire par les médias (consid. 2.8).
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En outre, la Cour cantonale considère que la mise à disposition des tiers et en particulier des médias des ordonnances pénales non entrées en force n’est pas contraire au principe de présomption d’innocence. En effet, même si en cas d’opposition le Ministère public décidait de revenir sur sa décision en cas d’opposition et rendait un classement, cette nouvelle ordonnance pourrait également être rendue publique, dans la mesure où le Tribunal fédéral a étendu le principe de publicité aux ordonnances de non entrée en matière ou de classement, même non entrées en force, sous réserve d’intérêts contraire (consid. 2.8).
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Par ailleurs, la sphère privée de A n’est pas non plus violée, dans la mesure où le Tribunal fédéral a déjà jugé que lorsqu’un journaliste venait à prendre connaissance d’un jugement, la publication du jugement non anonymisé se justifiait d’autant plus que l’intéressé était tenu de respecter le code de déontologie lié à sa profession, la protection de la personnalité, ainsi que la présomption d’innocence s’agissant des procédures en cours. Il en va donc de même s’agissant d’une ordonnance pénale non définitive. Pour protéger sa personnalité et son honneur, A dispose dans tous les cas des moyens civils et pénaux (art. 28ss cc et art. 173 ss CP) pour se défendre (consid. 2.8).
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