Le Tribunal fédéral est très exigeant quant à la motivation des recours

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Morceaux choisis de jurisprudence pénale rendue durant l’année 2021 en lien avec les médias

Miriam Mazou, Avocate, spécialiste FSA droit pénal, et chargée de cours à l’Université de Lausanne, et Lionel Hulliger, Avocat-stagiaire, MLaw

Zusammenfassung: Das Bundesgericht (BGer) befasste sich 2021 mehrmals mit strafrechtlichen oder strafprozessualen Beschwerden, welche Medien betrafen. So entschied das höchste Gericht, dass eine Strafanzeige wegen Hausfriedensbruchs gegen Hausbesetzer sich nicht auf eine Journalistin erstreckte, die eine Reportage über die Hausbesetzung gemacht hatte (siehe Ziffer 1). Ein Gerichtsreporter gewann, da gemäss BGer seine Verurteilung wegen der Veröffentlichung sensibler Informationen gegen Art. 10 EMRK verstossen hätte, da die betreffenden Informationen bereits öffentlich bekannt waren (3). Im Gegensatz dazu wurde der Chefredaktor einer jurassischen Satirezeitung wegen Diskriminierung und Aufstachelung zum Hass und übler Nachrede verurteilt (4). Das BGer weigerte sich, die Strafe einer Person zu mildern, die sich darüber beschwert hatte, unter ihrer Medienpräsenz gelitten zu haben (8). Lausanne erachtete die Begründung als unzureichend, ähnlich wie in zwei anderen Beschwerden: Die erste stammte von einer Beschwerdeführerin, die sich als Opfer einer «Verunglimpfungskampagne» sah (9), die zweite von einer Journalistin, die im Falle der Wiederaufnahme eines eingestellten Strafverfahrens einen nicht wiedergutzumachenden Schaden bzw. eine lange und kostspielige Untersuchung befürchtete (10). Schliesslich sprach das BGer Sicherheitsbeamten des kamerunischen Präsidenten die Immunität ab, weil sie ohne Notwenigkeit in Bezug auf die Sicherheit einen Journalisten angegriffen hatten (11).  Neben dem BGer haben auch das Bundesstrafgericht und verschiedene kantonale Gerichte mehrere medienrechtlich interessante Fälle beurteilt (2, 5, 6, 7 und 12).

Résumé: En 2021, le Tribunal fédéral (TF) s’est penché, à plusieurs reprises, sur des recours en matière de droit pénal ou de procédure pénale concernant les médias. Quelques exemples : la Haute Cour a estimé qu’une plainte pénale déposée pour violation de domicile contre des squatteurs ne s’étendait pas à une journaliste qui y avait réalisé un reportage (voir chiffre 1). Un chroniqueur judiciaire a aussi obtenu gain de cause: le TF a jugé que sa condamnation pour avoir publié des informations sensibles violait l’art. 10 CEDH, car les informations en question étaient déjà connues du public (3). En revanche, le rédacteur en chef d’un journal satirique jurassien a été condamné pour discrimination et incitation à la haine et diffamation (4). Le TF a refusé d’atténuer la peine d’une personne qui se plaignait d’avoir souffert de son une exposition médiatique (8). Estimant que la motivation était insuffisante, le TF a en outre déclaré irrecevables deux recours, le premier émanant d’une plaignante estimant avoir été victime d’une «campagne de dénigrement» (9) et le second d’une journaliste se prévalant d’un préjudice irréparable, respectivement d’une instruction longue et coûteuse au cas où la procédure à son encontre serait reprise (10). Selon notre Haute Cour, des agents de sécurité du président camerounais ne bénéficient par de l’immunité, pour s’en être pris sans raison sécuritaire à un journaliste (11). Outre le TF, le Tribunal pénal fédéral et diverses cours cantonales ont rendu plusieurs jugements intéressants par rapport au droit des médias (2, 5, 6, 7 et 12).

Introduction

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Cette chronique a pour vocation de présenter – sans prétendre à l’exhaustivité – une sélection d’arrêts rendus au cours de l’année écoulée en matière de droit pénal des médias et de procédure pénale en lien avec les médias. Les arrêts mentionnés dans la présente chronique émanent du Tribunal fédéral, du Tribunal pénal fédéral, ainsi que de Tribunaux cantonaux, de première et dernière instance.

1. Etendue de la plainte en fonction de l’intention du participant

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TF 6B_1214/2020 du 25 mars 2021: Le Tribunal fédéral a admis le recours d’une journaliste à l’encontre d’une décision du Tribunal cantonal lucernois, lequel l’avait condamnée pour violation de domicile (art. 186 CPP) pour avoir pénétré dans une villa occupée par des squatteurs, dans le but d’y faire un reportage avant leur expulsion. Une plainte pénale (art. 30 CP) avait été déposée par le propriétaire contre inconnu, avant que la journaliste se soit introduite dans la villa et ait publié un article le lendemain. Sur l’étendue d’une plainte pénale déposée contre un délit continu, tel que la violation de domicile, notre Haute Cour a rappelé qu’elle valait également à l’égard de tout participant qui y prendrait part, postérieurement au dépôt de plainte (ATF 128 IV 81 consid. 2a). Dans cet arrêt, l’instance fédérale a précisé une condition supplémentaire, à savoir que le comportement dénoncé dans la plainte soit imputable aux participants ultérieurs, selon les règes matérielles sur la participation (consid. 1.3).

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En l’espèce, la journaliste avait pénétré dans les lieux dans l’intention d’écrire un reportage, et non de participer de manière déterminante au squat, que ce soit en qualité de co-auteur ou de complice. Dès lors, la plainte pénale ne s’étendait pas à son encontre, l’éventuel comportement punissable des squatteurs ne pouvant pas lui être imputé. Le Tribunal fédéral a donc prononcé un classement en faveur de la recourante, respectivement renvoyé l’affaire à l’instance précédente pour décision sur le sort des frais et indemnités.

2. Média étranger et for suisse

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TPF BG.2021.27 du 13 juillet 2021: Le Tribunal pénal fédéral a été saisi d’une requête du Parquet général du canton de Berne, en vue de la détermination du for, contesté entre les autorités bernoises, zurichoises, vaudoises et bâloises. Le plaignant avait déposé plainte pour diffamation (art. 173 CP), auprès du Parquet général bernois, contre un avocat, domicilié en Allemagne, qui avait rédigé un article dans une revue juridique allemande dans le domaine de la propriété intellectuelle et de la concurrence. Le Tribunal pénal fédéral a d’abord examiné les éléments constitutifs de l’infraction. À teneur de l’article, le plaignant était désigné comme « Markentroll », à savoir une personne qui acquiert des brevets, pas pour les exploiter elle-même, mais afin de poursuivre des entreprises en vue d’obtenir des redevances ou des dommages et intérêts (consid. 3.3.2). En ce terme, le lecteur moyen ayant une expérience juridique pouvait comprendre un reproche de comportement déloyal et d’abus de droit. Dès lors, au regard du principe in dubio pro duriore, le comportement punissable, soit la divulgation de propos attentatoire à l’honneur du plaignant, ne pouvait être exclu (consid. 3.3.3).

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Dans la mesure où l’entreprise de média éditrice, l’auteur de l’article et la rédactrice responsable étaient domiciliés en Allemagne, le Tribunal pénal fédéral a examiné le for sous l’angle de l’art. 35 al. 3 CPP, soit le lieu de diffusion. La revue étant distribuée sous forme papier par une maison d’édition à Bâle, la compétence revenait au canton de Bâle-Ville (consid. 3.4).

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Enfin, le Tribunal pénal fédéral a rappelé que la question de la compétence suisse (art. 3 CPP), dans le cas de produits médiatiques rédigés et imprimés à l’étranger, mais diffusés en Suisse, était controversée en doctrine, respectivement laissée ouverte par le Tribunal fédéral dans l’ATF 125 IV 206. La diffusion en Suisse d’un média étranger rentre-t-elle dans la notion de « publication » de l’art. 28 al. 1 CP ? La compétence suisse peut-elle se fonder sur le lieu de la prise de connaissance, étant précisé que la diffamation et la calomnie ne sont pas des infractions de résultat selon le Tribunal fédéral ? Sans trancher ces questions, le Tribunal pénal fédéral a considéré qu’en tous les cas, il appartenait aux autorités pénales du canton de Bâle-Ville de rendre les décisions utiles, de sorte que la requête a été admise, l’affaire étant renvoyée auxdites autorités (consid. 3.5).

3. Limites à l’activité du chroniqueur judiciaire

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TF 6B_601/2020 du 6 janvier 2021: Le Tribunal fédéral a blanchi un chroniqueur judiciaire, condamné par les instances neuchâteloises précédentes pour insoumission à une décision de l’autorité (art. 292 CP). Dans le cadre d’un procès tenu à huis clos partiel, et sur la base de l’art. 70 al. 3 CPP, la direction de la procédure a interdit aux représentants des médias de faire état d’information en lien avec les enfants du prévenu et de la victime, sous la menace de la peine prévue à l’art. 292 CP. Rappelant l’importance des médias pour le contrôle de l’activité judiciaire (consid. 1.3), notre Haute Cour a considéré que la forme de cette décision d’instruction (art. 80 al. 3 CPP) n’était pas critiquable (consid. 1.4.2). Ensuite, le Tribunal fédéral a précisé que le Tribunal criminel pouvait, sur le principe, conditionner la participation des chroniqueurs judiciaires aux débats à l’observation de règles, qui visaient un intérêt digne de protection, soit en l’occurrence la protection de personnalité des enfants dont le père était alors jugé (consid. 1.4.3). En outre, tant sur le principe (consid. 1.4.4) que d’un point de vue formel (consid. 1.4.5), la décision étaient valablement assorties de la commination prévue à l’art. 292 CP.

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En ce qui concerne l’examen de la réalisation de l’infraction à l’art. 292 CP et, en particulier, de la légalité d’une décision rendue par une autorité judiciaire pénale contre laquelle un recours n’a pas été formé, le Tribunal fédéral a considéré que le pouvoir d’examen du juge était limité à l’arbitraire, respectivement à la violation manifeste de la loi et à l’abus manifeste du pouvoir d’appréciation, ce que le recourant n’a pas su mettre en évidence (consid. 2.2 et 2.3). En revanche, la condamnation du chroniqueur judiciaire a porté atteinte à la liberté d’expression ou à la liberté des médias, protégées par l’art. 10 CEDH et l’art. 16 Cst. (consid. 2.4.1 et 2.4.2). Bien que fondée sur une base légale (art. 70 CPP) et visant un but légitime (consid. 2.4.3), cette restriction ne respectait pas le principe de la proportionnalité (art. 5 al. 2 et 36 Cst.), sous l’angle de l’aptitude (consid. 2.4.4.2). En l’espèce, le chroniqueur judiciaire avait déjà rendu public le fait que l’un des enfants du prévenu avait été témoin des crimes commis, avant que le tribunal ne l’interdise sous la commination de l’art. 292 CP. Cette décision n’était ainsi plus apte à atteindre le but visé, soit la sauvegarde des intérêts des enfants, de sorte que la cause a été renvoyée à l’autorité cantonale, pour qu’un acquittement soit prononcé en faveur du recourant.

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Finalement, le Tribunal fédéral a ajouté qu’une condamnation sur la base de l’art. 292 CP aurait pu être envisagée, dans le cas où le journaliste aurait divulgué des éléments nouveaux concernant l’enfant, postérieurement à l’injonction du tribunal. Il est précisé qu’à la suite de ce jugement, le Tribunal cantonal neuchâtelois a décidé de condamner le journaliste à supporter les frais de justice, sur la base de l’art. 426 al. 2 CPP (Arrêt de la Cour pénale du Tribunal du canton de Neuchâtel du 10 mai 2021, CPEN.2020.4, INT.2021.254)

4. Discrimination et diffamation du rédacteur d’un journal satirique

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TF 6B_1126/2020 du 10 juin 2021: Le Tribunal fédéral a confirmé la condamnation d’un rédacteur en chef d’un journal satirique jurassien pour discrimination et incitation à la haine (art. 261bis CP) et diffamation (art. 173 CP), à travers la publication d’articles. S’agissant de la première infraction, le recourant avait écrit le texte suivant : « Durant toute leur histoire, les Juifs ont été des victimes dignes de compassion. Aujourd’hui, ils sont des bourreaux ne suscitant que le dégoût ». Notre Haute Cour a considéré que par les « Juifs », désignés en l’espèce invariablement et sans réserve, un destinataire moyen non prévenu comprenait les personnes dont le point commun est d’être de même confession religieuse et qui sont visées en raison de leur appartenance à cette religion, soit un groupe protégé au sens de l’art. 261bis CP (consid. 2.3). En outre, sans ambiguïté, le propos incriminé jetait l’opprobre sur le groupe visé, de même que véhiculait un discours haineux et méprisant à son encontre, allant manifestement au-delà d’une critique globalement objective. La prétendue ligne éditoriale satirique n’y changeait rien (consid. 2.4).

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En ce qui concerne l’infraction de diffamation, le Tribunal fédéral a jugé que le recourant avait porté le soupçon sur un groupe de personnes suffisamment déterminé, à savoir les membres ou les sympathisants d’une Association sportive de tir, en relatant, dans un article, des actes de vandalisme dont il a été victime. Il a précisé notamment ce qui suit :  « « Je pense aux tireurs, mais je ne vise personne », déclare ironiquement l’éditeur qui a publié 540 numéros en 46 ans. [le recourant] mène la vie dure au stand de tir de son village, dont il réclame la fermeture » (consid. 3.). Le jeu de mot entre le terme « tireurs » et l’expression « je ne vise personne » n’empêchait pas le lecteur moyen de comprendre qu’il exprimait des soupçons sur l’identité des auteurs des déprédations dont il se disait victime (consid. 3.4). Dans les deux cas, l’instance fédérale a exposé que l’art. 16 Cst. et l’art. 10 CEDH n’étaient pas violés (consid. 2.4 et 3.5).

5. Droit de réponse et diffamation

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TPF CA.2021.4 du 29 avril 2021: Dans cet arrêt, la Cour d’appel du Tribunal pénal fédéral a notamment dû se prononcer sur la réalisation de plusieurs infractions de diffamation (art. 173 CP) commises par le biais de publication Facebook, accessible au public. En réponse à un article d’une association, qui visait sa ferme et dénonçait des irrégularités dans la détention d’animaux, dont la prolifération incontrôlée de ses lapins, l’appelant a publié deux articles sur Facebook, l’un évoquant que les propos de l’association étaient mensongers, l’autre l’accusant d’agir sans scrupules, avec malice et de tromper ses amis et donateurs. L’instance fédérale a considéré que les deux articles étaient attentatoires à l’honneur. D’une part, selon la jurisprudence, le reproche d’avoir menti est diffamatoire (ATF 78 IV 32). D’autre part, la critique générale de l’appelant sur l’association, en tant que jugement de valeur mixte, sans préciser les actes concrets auxquels elle se rapporte, l’était tout autant. L’argument dont se prévaut l’appelant, soit qu’il ait publié, avant l’article litigieux, une vidéo d’un lapin vivant à la ferme depuis un an et en parfaite santé, n’y changeait rien : le lecteur moyen non prévenu ne pouvait pas faire le lien entre les publications.

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Ensuite, en vertu du droit de réponse de l’appelant, le Tribunal pénal fédéral l’a admis à faire la preuve de la décharge, puisque que les deux conditions cumulatives de l’art. 173 ch. 3 CP, soit l’absence d’un motif suffisant pour s’exprimer et le dessein de dire du mal d’autrui (ATF 132 IV 112 consid. 3.1), n’étaient pas réunies. Toutefois, les irrégularités dénoncées par l’association étaient établies, de sorte que l’appelant n’a pas apporté la preuve de la vérité. En outre, ses reproches allaient au-delà de ce que l’association dénonçait. Partant, le Tribunal pénal fédéral a rejeté l’appel et confirmé la condamnation de l’appelant pour diffamation.

6. Preuve de la bonne foi et violation des règles journalistiques

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Arrêt P/5494/2019 de la Chambre pénale de recours de la Cour de Justice de Genève du 2 novembre 2021: Le Tribunal cantonal genevois a annulé une ordonnance de classement rendue en faveur d’un journaliste, prévenu de calomnie (art. 174 CP) et de diffamation (art. 173 CP), pour avoir publié un article, de moins de sept cents mots, sur le site internet d’un journal, qui accusait un professeur d’avoir entretenu des relations sexuelles avec certaines de ses élèves, âgées de 15 à 18 ans, en se fondant sur un rapport d’experts. S’agissant de l’infraction de diffamation, et plus particulièrement de l’analyse de la preuve de la bonne foi, la dernière instance cantonale a retenu que le journaliste avait laissé paraître, entre guillemets, quatre passages censés être des citations exactes provenant de sa source, mais qui ne correspondaient en réalité à aucun passage des textes auxquels ils étaient censés se référer. Dès lors que ce genre de manquement relève de la faute professionnelle et est contraire aux règles de la profession, l’existence de la bonne foi du journalisme ne pouvait, a priori, pas être retenue (art 173 ch. 2 ; art. 319 CPP) (consid. 5.2).

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Quant à l’infraction de calomnie, dans la mesure où ces fausses références au rapport d’experts laissaient entendre que les actes reprochés au professeur étaient effectivement réalisés, alors que ce dernier ne faisait l’objet que de rumeurs et d’aucune condamnation au moment de la rédaction de l’article, la probabilité d’un acquittement n’était vraisemblablement pas supérieure à celle d’une condamnation. En outre, il n’était pas possible d’exclure que le journaliste, qui se prévalait d’être réputé et expérimenté, ne connaissait pas la fausseté de ce qu’il écrivait (consid. 5.3.2). Partant, la Chambre pénale de recours genevoise a renvoyé la procédure au Ministère public, pour qu’il prononce une ordonnance pénale ou saisisse l’autorité de jugement.

7.  Diffamation à l’encontre d’un prétendu partisan d’un régime autoritaire

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CAP VD Jug/2021/190, n°159, du 9 mars 2021: La Cour d’appel pénale du Tribunal cantonal vaudois a confirmé la condamnation d’un journaliste pour diffamation (art. 173 CP). Celui-ci avait publié un article sur le site internet de la Tribune de Genève, en décrivant le plaignant comme « grand Collabo et Traître dans la diaspora congolaise », « pourriture bonne pour la poubelle de l’histoire », lui reprochant d’être « lâche » et de n’avoir « rien dans le pantalon », allant jusqu’à utiliser les termes suivants pour dresser le portrait du plaignant : « fou », « écervelé », « rempli de défaillances mentales, psychiques et physiques », « affectionnant les coups bas » et « profitant des malheurs du peuple congolais pour mieux tirer des ficelles » (consid. 3.2.3). Le fait que le journaliste était engagé à la cause des droits de l’homme et dévoué à son métier ne justifiait pas ces propos, objectivement attentatoires à l’honneur et qui dépassaient les limites fixées aux libertés de la presse et d’expression. La relation du plaignant avec le régime de Mobutu étant, pour la Cour, difficile à déterminer, il ne pouvait être affirmé que le journaliste savait qu’il n’en était pas le partisan, en sorte que l’infraction de calomnie (art. 174 CP) n’a pas été retenue (consid. 3.2.3).

8. Exposition médiatique et réduction de la peine

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1F 6B 1193/2020 du 13 octobre 2021: Une personne condamnée pour de multiples infractions a recouru au Tribunal fédéral dans le but d’obtenir une réduction de sa peine, notamment en raison de son exposition médiatique. Il y avait eu un reportage anonyme sur le recourant, duquel pouvait être compris qu’il habitait dans un petit village désigné, qu’il avait 27 ans et qu’il était de nationalité kosovare. Selon l’instance précédente, seules des personnes qui connaissaient déjà le recourant pouvaient déduire du reportage qu’il le concernait, de sorte qu’il ne se justifiait pas d’alléger la peine. En référence à l’ATF 146 IV 231, consid. 2.6.1 et à l’ATF 128 IV 97, consid. 3b/bb, le Tribunal fédéral a rappelé que des publications dans les médias préjugeant de la culpabilité d’une personne soupçonnée – même sans la nommer – justifient une atténuation appropriée de la peine (art. 47 CP). Toutefois, in casu, le recourant n’a pas démontré si et dans quelle mesure il aurait été préjugé par le reportage. Ainsi, le Tribunal fédéral a constaté que les conditions pour une réduction de la peine en raison de l’exposition médiatique n’étaient pas réalisées (consid. 2.4.2).

9. Etendue du devoir de motivation des prétentions civiles de la partie plaignante

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TF 6B 1020/2020 du 15 mars 2021: Le Tribunal fédéral a déclaré irrecevable le recours déposé par une partie plaignante contre une décision de non-entrée en matière sur ses plaintes, qui visaient plusieurs personnes ayant participé à la rédaction et la publication d’articles qu’elle estimait attentatoires à son honneur. Notre Haute Cour a rappelé que la partie plaignante était habilitée à recourir par-devant le Tribunal fédéral si la décision attaquée pouvait avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles (art. 81 al. 1 let. a et b ch. 5 LTF), soit principalement des prétentions en réparation du dommage et du tort moral au sens des art. 41 ss CO (consid. 1). La jurisprudence est restrictive en ce qui concerne les exigences de motivation de la réalisation de cette condition (ATF 141 IV 1 consid. 1.1). En l’espèce, la recourante s’était plainte, de manière générale, d’une « campagne de dénigrement », sans préciser ses conclusions civiles pour chacune des infractions qu’elle reprochait aux différentes personnes et sans étayer en quoi l’atteinte subie revêtirait la gravité objective et subjective que la jurisprudence exige pour l’allocation d’une indemnité pour tort moral (art. 49 CO). Partant, elle a échoué à démontrer sa qualité pour recourir.

10. Recours incident et préjudice irréparable

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TF 6B_900/2021 du 22 septembre 2021: À la genèse de cette affaire, une journaliste avait publié plusieurs articles, relatant l’incarcération d’un avocat dans le cadre d’une procédure pénale menée à son encontre pour avoir exercé des pressions sur des témoins ou plaignantes potentielles dans une enquête dirigée contre son propre frère pour viols et actes d’ordre sexuel. Les articles contenaient notamment les assertions suivantes : « Un caractère bien trempé et des moyens peu scrupuleux pour obtenir gain de cause lui auraient valu ces mésententes » ; « Connu pour son sang et son verbe chauds, également pour ses méthodes de cow-boy dans l’exercice de son métier, […] » ; « Le prévenu a visiblement usé et abusé de son influence d’homme de loi pour tenter de parvenir à ses fins : disculper [son frère] ». À la suite d’une plainte de l’avocat pour calomnie (art. 174 CP) et diffamation (art. 173 CP), la journaliste avait bénéficié d’un classement par le Ministère public, décision ensuite annulée et renvoyée à l’autorité précédente par le Tribunal cantonal valaisan. Statuant sur un recours incident (art. 93 LTF) formé par la journaliste, le Tribunal fédéral a dû se prononcer sur la recevabilité du recours. Premièrement, sous l’angle du préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF), notre Haute Cour a considéré que la proche échéance de la prescription de l’action pénale (art. 178 al. 1 CP) ne privait pas la journaliste de solliciter, auprès de l’autorité de première instance, la mise en œuvre de moyens de preuve complémentaires ou la suspension de la procédure jusqu’à droit connu sur celle dirigée contre l’avocat (consid. 1.2).

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Deuxièmement, la journaliste exposait que l’admission du recours permettrait d’éviter une instruction longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. a LTF), et notamment, dans la perspective des preuves de la bonne foi ou de la vérité qu’elle entendait apporter (art. 173 ch. 2 CP), d’examiner dans le détail le bien-fondé des accusations dont l’avocat fait l’objet. En rappelant la jurisprudence restrictive en la matière, le Tribunal fédéral a relevé qu’il incombait à la journaliste d’alléguer, de manière précise, quelles mesures d’instruction devaient être envisagées et en quoi celles-ci apparaissaient a priori dispendieuses, respectivement de démontrer que les frais excédaient ceux afférents ordinairement à une procédure pénale. Le seul fait que l’avocat soit prévenu de nombreux chefs d’accusation (tentative d’escroquerie, injure, menaces, instigation à dénonciation calomnieuse, tentative d’entrave à l’action pénale, instigation à fausse déclaration d’une partie en justice, instigation à faux témoignage, tentative d’instigation à faux témoignage, violation du secret professionnel et tentative de contrainte), n’était guère suffisant (consid. 1.3.1). Partant, le Tribunal fédéral a prononcé l’irrecevabilité du recours.

11. Immunité

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TF 1B 539/2020 du 26 juillet 2021: Selon le Tribunal fédéral, des officiers de sécurité du Président camerounais qui ont fait usage de violence physique sur un journaliste, lui ont arraché son téléphone, son portemonnaie et son sac à dos, tout en lui bloquant les bras alors qu’il ne faisait rien de particulier, ne bénéficient pas de l’immunité de juridiction. D’une part, interprétée restrictivement par notre Haute Cour, l’immunité ratione personae protège un cercle limité de représentants de l’Etat de haut rang et ne s’étend donc en principe pas aux agents de sécurité du Président (consid. 2.2.1).

22

D’autre part, s’agissant de l’immunité ratione materiae, bien que les agents exerçaient, en leur qualité, des prérogatives de la puissance publique, les actes imputés n’entraient pas dans leur fonction sécuritaire, ni ne revêtaient un caractère officiel, puisque le journaliste ne présentait aucun danger concret et imminent pour le Président camerounais, absent au moment des faits (consid. 2.2.2).

12. Infraction pénale pour la réalisation d’un reportage 

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Arrêt P/7702/2019 du Tribunal pénal genevois (première instance) du 9 juillet 2021: La première instance cantonale genevoise a été amenée à se prononcer sur le sort d’une journaliste étant passible de l’infraction prévue à l’art. 33 al. 1 let. a LArm, pour avoir acquis et possédé une arme à feu imprimée en 3D, le LIBERATOR, sans être titulaire d’une autorisation, en vue de la réalisation d’un reportage diffusé par la RTS, au 19h30, en date du 7 avril 2019 (vidéo consultable sous : https://www.rts.ch/info/suisse/10346205-armes-a-feu-imprimees-en-3d-quels-dangers-pour-la-suisse.html). Le Tribunal a considéré que les éléments constitutifs objectifs et subjectifs étaient réalisés, puisque la journaliste avait conscience et volonté de commander, acquérir, payer, assembler, posséder et transporter le LIBERATOR, de même qu’elle savait, par le biais d’un avis du Service juridique de la RTS, qu’une autorisation était nécessaire (consid 2.1.2 à 2.2.1). Selon le Tribunal, le raisonnement du Tribunal fédéral relatif au défaut d’intention d’un journaliste de falsifier les résultats du vote (TF 6B_604/2017 du 18 avril 2018, consid. 2.2), ne pouvait pas s’appliquer ici : bien que le but de la LArm soit de lutter contre l’utilisation abusive d’armes, l’infraction reprochée ne prévoit pas de résultat concret sur lequel devrait porter l’intention (consid. 2.2.2).

24

Ensuite, le Tribunal a analysé si les conditions restrictives du fait justificatif extralégal de la sauvegarde d’intérêts légitimes, étaient réalisées (ATF 127 IV 166, consid. 2b). Tel n’était pas le cas, selon la première instance cantonale, dans la mesure où l’intérêt d’information et de protection du public sur les dangers liés à l’arme visé par la journaliste n’apparaît pas nettement supérieur à celui poursuivi par la LArm, mentionné supra, et que la journaliste aurait pu parvenir à son but en obtenant une autorisation (consid. 3.1.2).

25

Sur la base de la théorie du « risque admissible » (ATF 117 IV 58 consid. 2b ; 6B_1111/2016 du 9 mai 2018 consid. 3.1), selon laquelle l’auteur d’un délit de mise en danger abstraite doit avoir franchi les limites d’un risque acceptable pour être punissable, la journaliste a été acquittée des faits d’acquisition et de possession du LIBERATOR, du temps qu’il était rangé sous clef dans un tiroir de son bureau, dans le bâtiment sécurisé de la RTS à Genève. En revanche, les limites du risque acceptable ont été franchies lorsque la journaliste avait transporté l’arme, respectivement l’avait gardée alors que le reportage était terminé, de sorte qu’elle a été condamnée sur ces faits (consid 3.2.2).

26

Bien que la condamnation de la journaliste constitue une ingérence dans la liberté de la presse protégée par l’art. 10 CEDH, le Tribunal a rappelé que la mission d’investigation et d’information de la journaliste ne saurait la dispenser de se conformer aux règles du droit pénal ordinaire, ce d’autant plus que les actes commis ne constituaient pas le seul et unique moyen d’obtenir l’information. En outre, la condamnation ne porte pas sur le reportage et il ne s’agit pas d’une question de censure, la peine fixée ne devant toutefois pas risquer de décourager la presse à investiguer sur certains sujets ou à s’exprimer dans le débat public (consid. 4.2).

27

En application de l’art. 52 CP, la première instance cantonale a exempté de toute peine la journaliste, compte tenu du but louable qu’elle poursuivait, de l’absence de dommage et de conséquences sur les intérêts privés et publics concernés, ainsi que de sa faute presque minime (consid. 5.2). Il est précisé que cette affaire a été portée devant le Tribunal cantonal genevois, tant par la prévenue que par le Parquet.

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