L’art. 86 LPP ne constitue pas une disposition spéciale au sens de l’art. 4 let. a LTrans

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Commentaire de l’arrêt du Tribunal fédéral 148 II 16 et de la procédure devant les autorités cantonales

Jérôme Gurtner, docteur en droit, greffier au Tribunal administratif fédéral

Zusammenfassung: Dieses Urteil betrifft ein Zugangsgesuch zum Protokoll einer Vorstandssitzung der Pensionskasse des Kantons Genf, in dem es um die Senkung des technischen Zinssatzes und die Änderung der Sterbetafel ging. Der Autor bespricht u.a. die Verweigerung der Zusammenarbeit der Kasse im Rahmen des Schlichtungsverfahrens vor dem kantonalen Datenschutz- und Öffentlichkeitsbeauftragten. Er weist auch darauf hin, dass dem Urteil der kantonalen Vorinstanz eine separate Stellungnahme beigefügt war, in der die dort gewählte Lösung zu Recht in Frage gestellt wird. Schliesslich analysiert er das Urteil des Bundesgerichts, gemäss dem das Inkrafttreten des BGÖ die Tragweite der Geheimhaltungspflicht nach Art. 86 BVG, der keine Sonderbestimmung im Sinne von Art. 4 Bst. a BGÖ darstellt, reduziert hat. Dieser Lösung ist zuzustimmen.

Résumé: Cet arrêt porte sur une demande d’accès à un procès-verbal d’une séance du comité de la Caisse de prévoyance de l’État de Genève portant sur l’abaissement du taux technique et le changement de table de mortalité. L’auteur discute notamment du refus de collaborer de la Caisse dans le cadre de la procédure de médiation devant le Préposé cantonal à la protection des données et à la transparence. Il relève également que l’arrêt du Tribunal cantonal est accompagné d’une opinion séparée, qui remet à juste titre en question la solution retenue dans cet arrêt. Enfin, il analyse l’arrêt du Tribunal fédéral, qui retient que l’entrée en vigueur de la LTrans a réduit la portée de l’obligation de garder le secret prévue à l’art. 86 LPP, lequel ne constitue pas une disposition spéciale au sens de l’art. 4 let. a LTrans. Cette solution doit être approuvée.

I. Résumé de l’affaire

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En 2020, A., rédacteur en chef adjoint au quotidien B., a demandé à la Caisse de prévoyance de l’État de Genève (ci-après : la Caisse) l’accès à un procès-verbal d’une séance du comité portant sur l’abaissement du taux technique et le changement de table de mortalité (ci-après : le document). La séance de médiation devant le Préposé cantonal à la protection des données et à la transparence du canton de Genève (ci-après : le Préposé cantonal) n’a pas abouti. Le Préposé cantonal a demandé à la Caisse de pouvoir consulter le document, ce qui lui a été refusé. En raison de ce refus, le Préposé a constaté dans sa recommandation qu’il n’était pas en mesure de déterminer le caractère public ou non du document demandé. Par décision du 29 septembre 2020, la Caisse a refusé l’accès au document. Elle a estimé en substance qu’elle n’entrait pas dans le champ d’application de la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 5 octobre 2001 (LIPAD ; A 2 08). À titre subsidiaire, elle a fait valoir que l’art. 26 al. 4 LIPAD en lien avec l’art. 86 LPP faisait obstacle à la communication du document demandé, lequel était couvert par une obligation de garder le secret, ce dernier étant opposable tant au Préposé qu’au Journal B.

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Par arrêt du 20 avril 2021, la Chambre administrative de la Cour de justice de la République et canton de Genève (ci-après : la Cour de justice) a rejeté le recours de A., en considérant pour l’essentiel que l’hypothèse prévue à l’art. 26 al. 4 LIPAD selon laquelle le droit fédéral fait obstacle à la communication des documents était réalisée. Le Tribunal fédéral a admis le recours et renvoyé l’affaire à l’autorité inférieure pour nouvelle décision au sens des considérants.

II. Refus de l’autorité de collaborer

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Dans le cadre de la procédure de médiation, la Caisse avait refusé de transmettre le document au Préposé cantonal, soutenant que ce dernier devait être considéré comme un tiers au sens de l’art. 86 LPP. Dans sa recommandation du 31 août 2020, le Préposé cantonal avait constaté qu’il n’était pas en mesure de rendre une recommandation (cf. Préposé cantonal, Demande d’accès de X. à des procès-verbaux de séance du comité de la Caisse de prévoyance de l’État de Genève, recommandation du 31 août 2020 [ci-après : la recommandation] ; accessible à l’adresse suivante : https://perma.cc/N8JB-PBWD).

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La LIPAD instaure pourtant une obligation de collaborer de l’autorité. L’art. 30 al. 3 LIPAD prévoit en effet que la consultation sur place des documents faisant l’objet d’une requête de médiation ne peut être refusée au Préposé, à charge pour lui de veiller à leur absolue confidentialité et de prendre, à l’égard tant des parties à la procédure de médiation que des tiers et du public, toutes mesures nécessaires au maintien de cette confidentialité aussi longtemps que l’accès à ces documents n’a pas été accordé par une décision ou un jugement définitifs et exécutoires. L’art. 10 al. 4 du règlement d’application de la loi sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles du 21 décembre 2011 (RIPAD ; A 2 08.01) précise que le document dont l’accès est contesté doit, sur demande du Préposé cantonal, lui être communiqué. Malgré l’énoncé clair de ces deux dispositions, la loi ne contient aucun instrument permettant au Préposé cantonal de faire respecter cette obligation lorsqu’une autorité refuse de lui communiquer les documents faisant l’objet de la requête de médiation. À notre demande, le Préposé cantonal nous a répondu qu’il n’avait été confronté à un tel refus que dans deux cas. Cependant, de notre point de vue, cette situation n’est pas satisfaisante, dans la mesure où elle compromet la procédure de médiation et rend la rédaction d’une recommandation impossible.

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De son côté, le Préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (ci-après : le Préposé fédéral) n’est pas mieux armé. L’art. 20 al. 1 de la loi fédérale du 17 décembre 2004 sur le principe de la transparence dans l’administration (LTrans ; RS 152.3) prévoit que le Préposé a accès aux documents officiels dans le cadre de la procédure de médiation, même si ceux-ci sont secrets. Cette disposition est concrétisée à l’art. 12b al. 1 let. b de l’ordonnance du 24 mai 2006 sur le principe de la transparence dans l’administration (OTrans ; RS 152.31) qui précise que dès qu’il est saisi de la demande en médiation, le Préposé en informe l’autorité et lui impartit un délai pour lui transmettre les documents requis. Cependant, à l’image de la LIPAD, la LTrans ne prévoit aucun instrument efficace qui permettrait au Préposé fédéral de faire respecter cette obligation (dans ce sens : Astrid Schwegler, in : Urs Maurer-Lambrou/Gabor-Paul Blechta (édit.), Datenschutzgesetz (DSG)/Öffentlichkeitsgesetz (BGÖ), 3e éd., 2014, N 29 ad art. 20 LTrans et la réf. cit.). Cette auteure relève, certes, que le Préposé fédéral peut s’adresser à l’autorité hiérarchiquement supérieure de l’autorité saisie de la demande d’accès, en dernière instance au Conseil fédéral par analogie avec l’art. 30 al. 1 de la loi fédérale du 19 juin 1992 sur la protection des données (LPD ; RS 235.1) (Astrid Schwegler, op.cit., N 29 ad art. 20 LTrans). Elle considère néanmoins, à juste titre selon nous, que le Préposé fédéral devrait disposer d’un pouvoir d’injonction lorsqu’une autorité refuse de lui remettre des documents. Même si l’autorité peut toujours refuser de participer à la médiation, l’existence d’une telle injonction rendrait possible la rédaction d’une recommandation. Le requérant serait mieux informé des chances de succès de sa demande d’accès et pourrait mieux évaluer l’opportunité de requérir une décision auprès de l’autorité. Il est choquant que le requérant soit pénalisé par le refus de collaber de l’autorité.

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On relèvera enfin que la Cour de justice a rendu son arrêt sans consulter le document demandé, alors qu’elle aurait pu y accéder sans difficulté en tant qu’autorité judiciaire. D’une manière générale, et sauf circonstances particulières, par exemple lorsque l’autorité n’est pas soumise à loi sur la transparence, il serait préférable que l’autorité judiciaire saisie d’un recours dans une procédure d’accès à un document consulte ce dernier.

III. Application de la LIPAD à la Caisse

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Devant le Préposé cantonal et la Cour de justice, la Caisse avait soutenu, sans succès, qu’elle n’était pas soumise à la LIPAD. Cette question n’était plus contestée devant le Tribunal fédéral, qui a rappelé que la LIPAD s’applique à la Caisse, en tant qu’établissement de droit cantonal (cf. art. 3 al. 1 let. c, al. 3 et al. 5 LIPAD ; cf. également arrêt du TF 1C_336/2021 du 3 mars 2022 consid. 2 [non reproduit dans l’ATF 148 II 16]. Il peut être renvoyé à ce sujet aux explications détaillées qui figurent dans la recommandation du Préposé cantonal (n° 31 à 47). On relèvera en outre que l’argument de la Caisse selon lequel le Préposé cantonal ne pouvait pas se saisir de l’examen du respect de dispositions fédérales, à savoir de l’art. 86 LPP, n’est pas soutenable. Comme l’a indiqué à juste titre le Préposé dans sa recommandation, « [é]carter de facto de la compétence du Préposé cantonal toute demande d’accès portant sur un document en lien avec une loi fédérale reviendrait à vider de sa substance le principe de transparence voulu par le législateur, en éludant tant la compétence du Préposé cantonal que celle du Préposé fédéral » (n° 41), à plus forte raison dans la mesure où la Caisse n’est pas soumise à la LTrans. L’argument de la Caisse relève également d’une mauvaise compréhension des relations entre le droit cantonal et le droit fédéral. D’une manière générale, les autorités cantonales, y compris judiciaires, ne sont pas limitées à n’appliquer et n’examiner que le droit cantonal ; elles sont au contraire souvent confrontées au droit fédéral.

IV. Opinion séparée annexée à l’arrêt de la Cour de justice

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Une opinion séparée est annexée à l’arrêt de la Cour de justice, comme le permettent les art. 119 de la Constitution du 14 octobre 2012 de la République et canton de Genève (Cst-GE ; RS 131.234) et 28 al. 5 et 6 du Règlement du 20 juin 2014 de la Cour de justice (RCJ ; E 2 05.47). Son auteur y relève que l’arrêt considère que les art. 86 et 86a LPP constituent des normes fédérales interdisant l’accès aux procès-verbaux des séances du comité, « ce qui mérite plus ample examen ». Il ajoute ce qui suit :

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« Affirmer qu’une information soumise au secret de fonction est de ce seul fait exclue du droit d’accès [ne] revient à rien de moins qu’à annuler purement et simplement la législation sur la transparence, qu’elle soit fédérale ou cantonale ! Il est donc évident que ce n’est pas parce qu’un fonctionnaire ou le membre d’une autorité est soumis au secret de fonction que le document qu’il produit est soustrait au droit d’accès. L’art. 86 LPP ne peut dès lors constituer l’exception de droit fédéral à l’accès au document demandé ».
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L’avis mentionné ci-dessus est exact. On regrettera qu’il n’ait pas poussé les autres membres du collège des juges à réexaminer leur position ou, à tout le moins, à répondre à cet argument dans l’arrêt. Il n’en demeure pas moins que cet arrêt montre, une fois de plus, que l’opinion séparée peut s’avérer être un instrument utile.

V. Solution retenue par le Tribunal fédéral : l’art. 86 LPP ne constitue pas une disposition spéciale au sens de l’art. 4 let. a LTrans

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L’art. 4 let. a LTrans réserve les dispositions spéciales d’autres lois fédérales qui déclarent certaines informations secrètes. Cependant, comme l’a rappelé le Tribunal fédéral, en se référant au Message du Conseil fédéral du 12 février 2003 relatif à la loi fédérale sur la transparence de l’administration (ci-après : Message LTrans), le secret de fonction prévu à l’art. 22 de la loi fédérale du 24 mars 2000 sur le personnel de la Confédération (LPers ; RS 172.220.1) ne peut pas exclure l’application de la LTrans puisque cela aurait été incompatible avec le changement de paradigme introduit par cette loi (ATF 148 II 16 consid. 3.4.1 et les réf. cit.). Le Tribunal fédéral a ainsi suivi sa jurisprudence selon laquelle l’entrée en vigueur de la LTrans a réduit la portée du secret de fonction, puisqu’il ne protège plus que les informations couvertes par le secret de fonction en application des exceptions aux principes de transparence prévues aux art. 7 et 8 LTrans (ATF 148 II 16 consid. 3.4.1 et les réf. cit.).

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Dans une autre affaire, le Tribunal fédéral a jugé que l’art. 44 de la loi fédérale du 13 mars 1964 sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce (LTr ; RS 822.11) ne constitue pas une disposition spéciale au sens de l’art. 4 let. a LTrans (arrêt du TF 1C_129/2016 du 14 février 2017 consid. 2.3.2). Il est logique qu’il en aille de même en ce qui concerne l’art. 86 LPP dont la teneur est quasi identique à celle de l’art. 44 al. 1 LTr. L’art. 86 LPP ne fait ainsi qu’exprimer, sous une forme modifiée, le secret de fonction général, au même titre que les art. 22 LPers et 44 LTr (ATF 148 II 16 consid. 3.4.2 et les réf. cit.). Cette solution doit être approuvée.

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Il est enfin intéressant de relever que dans un arrêt du 16 mars 2022 (A-741/2019), le Tribunal administratif fédéral (TAF) est arrivé à la conclusion que l’art. 74 de la loi fédérale du 12 juin 2009 régissant la taxe sur la valeur ajoutée (LTVA ; RS 641.20) est une disposition spéciale au sens de l’art. 4 let. a LTrans (pour une présentation et un commentaire de cet arrêt, voir Jérôme Gurtner, La jurisprudence des tribunaux fédéraux relative à la loi fédérale sur le principe de la transparence dans l’administration, in : plaidoyer 4/2022, p. 26-33, p. 32-33). Cet arrêt a été attaqué devant le Tribunal fédéral.

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En résumé, dans le présent arrêt commenté, le Tribunal fédéral a considéré que le doit fédéral ne fait pas obstacle au droit d’accès aux documents au sens de l’art. 26 al. 4 LIPAD, tout en relevant que la disposition précitée avait été appliquée arbitrairement.

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